Cher lecteur 👋
Cette année a été un tumulte - à présent que la poussière est retombée, il est temps de se projeter sur les implications technologiques et sociétales de l’IA.
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En 2024, les morts vont ressusciter
Je dis souvent que l’humanité est sur une frise de temps qui va de l’animal au robot. Plus on progresse, plus on s’éloigne de notre habitat naturel et plus on délègue certains de nos traits à la technologie, vers une fusion qui semble inévitable.
Pour moi, l’émergence des AIs génératives est une nouvelle rupture dans cette timeline. En Novembre 2022, chatGPT a été un raz de marée. Cette expérience a ouvert la porte à 2023, l’année de la technologie et des capitaux: les startups (comme la notre) ont été financées pour repenser des industries entières avec un angle “AI first”.
2024 sera l’année de l’adoption, et à une échelle plus grande, le franchissement d’une frontière sur des sujets fondamentaux: le deuil, la mémoire, le sens commun et les relations amoureuses.
Voici donc une série de prédictions sur 2024.
Nous parlerons aux morts
En Chine, des services émergent pour enregistrer les avatars des personnes agées avant leur mort afin de permettre à leur famille d’interagir avec eux après leur décès.
D’autres construisent des tablettes à placer sur les tombes pour pouvoir discuter avec nos ancêtres directement dans les cimetières.
Imagine aller au Père Lachaise et pouvoir parler à un avatar de Jim Morrison, Edith Piaf ou Chopin.Même si pour ma part, j’adorerai tailler une bavette avec Oscar Wilde, on s’attaque ici à un pilier de notre nature: le deuil.
Pourra-t-on faire un vrai deuil si dès la mort de nos proches, on continue à interagir avec eux ? D’autant que la technologie permettra à ces défunts de continuer à apprendre en permanence sur notre monde et sur notre famille, comme s’ils n’étaient jamais partis.
Les morts s’apprêtent à ressusciter.
Nous allons déléguer notre mémoire à la machine
Quiconque a essayé GPT4 sait que l’aspect le plus frustrant est de devoir lui donner du contexte à chaque conversation. Ça serait génial s’il pouvait savoir qui on est, quels sont nos objectifs et comprendre le contexte des autres éléments (notamment personnes) en rapport à nous.
Pour franchir ces obstacles, plusieurs entreprises se sont lancées sur des wearables qui écoutent toutes nos conversations (rewind pendant, tab) voire observent le monde réel à nos côtés pour mieux nous conseiller (AI pin). Même Meta s’apprête à lancer ses lunettes AI avec Ray-ban, présentées dans une démo comme un guide touristique, conseiller et traducteur en temps réel.
Le danger avec ce type d’outils est clair: demande à un gen Z de conduire entre deux villes ou de se repérer dans une ville inconnue sans son GPS. Tu verras à quel point nous avons déjà délégué notre sens de l’orientation à la machine (Google Maps en l’occurence).
Bientôt, ça sera aussi la mémoire, notre réflexion, voire pire: notre sens commun. Cette personne est-elle hostile ? A-t-elle des intentions envers moi ? Sans nos lunettes AIs, on ne saura plus dire.
Nous sommes en train de déléguer nos instincts à la machine.
Le monde réel va fusionner avec le monde virtuel
Il y a quelques années, le jeu Pokemon Go avait un succès retentissant. Pourtant, j’étais assez surpris de voir que l’expérience de réalité augmentée n’avait jamais été réitérée avec tant de succès. L’arrivée des nouveaux wearables AI que je mentionnais plus haut va créer une nouvelle vague d’expériences de réalité augmentée.
Côté ludique, nous aurons des nouveaux Pokémon Go beaucoup plus ambitieux: des constructions géantes en AR au milieu des grandes villes qui vont devenir des aires de jeu à ciel ouvert, auquel chacun pourra contribuer ou participer. Imagine un “Jenga” de la taille d’un bâtiment.
Côté pratique, plusieurs industries vont voir le jour: celle des habits virtuels (habits à motifs dynamiques), celle de la publicité virtuelle (imagine regarder les baskets de quelqu’un dans la rue avec tes lunettes VR et recevoir immédiatement un discount de 25% pour les acheter en live), voire même celle du voyage (tu es à la terrasse d’un café et il fait gris, mais avec tes lunettes tu es en bord de plage).
Nous allons augmenter le monde physique.
“Her” arrive
Dans un post linkedin en début d’année, je prédisais que fin 2024, 7% des jeunes adultes seraient en couple avec une IA. Aujourd’hui, je persiste et signe. Les limitations (mémoire, voix) qui existaient en début d’année pour simuler des partenaires digitaux sont en voie de disparaître - de nombreux projets, parfois bien financés, travaillent sur le sujet.
L’émergence de profils instagram IA et les levées de bouclier suite à l’abandon des conversations romantiques par Replika - une version pourtant archaïque de l’IA - attestent que la population est prête pour ça.
À une époque où les études démontrent un niveau de solitude et de désintérêt pour les relations sans précédent chez les jeunes, “Her” est inévitable.
Demain, ton ado sera en date avec une IA.
Des IAs au bout du fil
J’ai été très surpris d’apprendre récemment que le maire de New York programmait des campagnes d’appels vocaux automatiques multilingues avec IA pour ses citoyens non anglophones: la vitesse d’adoption de cette technologie dans les bureaucraties les plus immobilistes ne cesse de me surprendre.
Cet été, nous avions vu (ou plutôt écouté) une démo impressionnante de l’outil air.ai qui prend une voix humaine pour appeler des prospects passés dans un magasin. Comme pour l’AI girlfriend, les quelques limitations sur le sujet (rapidité, voix robotique, mémoire) sont déjà presque toutes résolues.
En 2024, il faudra donc s’habituer à parler à des robots (performants) au téléphone. S’il n’y a aucun doute que la régulation contraindra les opérateurs à nous prévenir, l’expérience restera suffisamment bluffante pour parfois préférer parler à un robot plutôt qu’un humain (extrait de ma discussion comptoir IA sur “Quand les IAs vont-elles répondre aux hotlines de suicide?).
Et je ne parle même pas des arnaques…
Le logiciel va vivre la même transformation que le média
L’entrepreneur français Flo Crivello, qui construit une startup d’assistants IA à San Francisco, fait l’analogie entre le média et le logiciel à l’ère de l’IA. Au temps d’Oprah Winfrey, dit-il, il fallait avoir des connections et beaucoup d’argent pour atteindre une telle audience. Mais aujourd’hui, le Youtubeur Mr. Beast, qui a commencé avec un téléphone portable et un fichier excel pour analyser l’algorithme youtube, surclasse ces audiences.
Une personne seule a donc l’impact de plusieurs dizaines de personnes. Et c’est ce qui va arriver avec le logiciel.
L’émergence des “agents”, IAs programmées pour executer une tâche à la perfection, nous laisse entrevoir la prochaine étape: le multi-agents. La possibilité pour une IA de découper une tâche en sous-tâches, puis de se cloner en agents spécialisés qui vont communiquer entre eux de manière autonome pour atteindre une tâche.
Aujourd’hui, il y a encore beaucoup d’entropie et d’hallucinations dans un tel processus. Mais on sait qu’il sera bientôt possible de créer des milliers d’assistants ultra-spécialisés pour chaque individu, qui effectuent des tâches 100 fois plus vite en s’auto-améliorant. Cette orchestration permettra à des personnes seules de simuler des équipes entières d’employés.
À ce stade, la competition va être exacerbée et les barrières à l’entrée dans le software de plus en plus difficiles à justifier.
En 2024, nous aurons chacun des armées d’assistants qui communiquent entre eux.
L’ère des robots se profile
Dans la robotique, il y a 2 gros enjeux: la spécialisation et la production.
La spécialisation, c’est ce qui fait qu’on préfère avoir un robot qui fait une chose très bien plutôt que plein de choses moyennement bien. Il y a déjà des robots spécialistes partout.
Mais il y a un point de bascule à partir duquel ce n’est plus vrai. Si un robot est capable de parfaitement faire le ménage, cuisiner, faire les courses, nous apprendre le piano et monter un meuble, soudainement le “general purpose robot” devient justifié - on préfèrera investir dans un C3PO plutôt que dans la nouvelle Classe A.
La production, c’est les limitations de matériaux et d’usines pour produire ces robots à grande échelle. Le débat ici est vaste: si la production de véhicules ralentit grâce à des vastes réseaux de voitures autonomes, on pourrait imaginer repenser les usines pour la robotique.
D’autant qu’il y a un facteur exponentiel: si l’IA et les robots nous aident à réfléchir et transformer plus rapidement, ce processus pourrait être plus rapide qu’on l’imagine (c’est le fameux “slow takeoff” que nous serions déjà en train de vivre, selon certains).
Cette année, nous avons vu le robot d’Elon Musk comprendre le monde, en déduire des tâches à effectuer et manipuler un oeuf seulement grâce à sa vision. En parallèle, GPT4 a montré à tous que les IAs étaient capables de comprendre une image avec un haut niveau de détail, y compris sur des sujets avancés.
Ceci ouvre la porte à une robotique du futur, donc la plupart des composantes sont développées en parallèle: certaines startups sont spécialisées sur des membres, comme les mains, tandis que d’autre travaillent sur le mouvement (ex: Boston Dynamics).
En 2024, nous verrons des démos de plus en plus impressionnantes de robots capable de comprendre et d’effectuer des tâches autonomes dans un environnement physique contrôlé. La question de l’anthropomorphisme sera cruciale - va-t-on créer des robots qui sont tellement proche des humains qu’on ne fait plus la différence ?
Blade Runner n’est plus très loin.
“Video will eat the world”
La vidéo était déjà le format le plus bankable des dernières années, notamment grâce aux réseaux sociaux, mais elle atteindra un nouveau sommet l’année prochaine.
Tandis qu’en 2023, la génération d’images est devenue incroyablement facile et performante, en 2024 ça sera au tour de la vidéo.
En 2024, le coût de production de tous types de vidéos va drastiquement chuter - il est possible de faire des deepfakes de plus en plus crédibles et des plateformes de “text to video” comme Pika labs avancent très rapidement sur la génération de vidéos de bonne qualité, avec du contrôle.
Certains s’insurgent déjà de la saturation de contenu que cela va engendrer, mais il faut bien voir quelque chose: il y a déjà une saturation de contenu et pas seulement vidéo. Tout le monde peut écrire un post linkedin et il en existe dix mille fois plus que ceux que tu vas voir sur ton feed.
In fine, ce sont les algorithmes des réseaux sociaux qui font la pluie et le beau temps et qui contraignent déjà les créateurs de contenu à exceller dans l’écriture et la production pour être vus et partagés.
Bientôt, comme certains délèguent le copywriting de leur profil linkedin à des agences, nous délèguerons aussi notre branding - avec notre visage et voix. Il sera possible “d’enregistrer” des podcasts d’excellente qualité avec seulement du texte en entrée.
Les présentateurs de chaînes d’informations seront des avatars ultra-réalistes, l’avatar de Léo Messi vous souhaitera un bon anniversaire personnalisé, les photos de produits sur les sites de retail se transformeront en vidéo, les formations en ligne seront simplement scriptées, les dessins animés seront fait avec 100 fois moins de moyen… et on verra des acteurs morts jouer à nouveau dans des films.
Le journalisme va devenir citoyen et technologique
Il y a quelques temps, j’écrivais sur les fake news: je démontrai que les “fact checkers” étaient souvent tout aussi orientés que les faits qu’ils vérifiaient et qu’il y avait un clair désalignement d’intérêt.
Depuis, un outil m’a bluffé: c’est les “community notes” de twitter. Pour l’instant, il semble que l’intelligence collective punisse les fake news de quelque allegiance idéologique que ce soit.
Alors que nous n’avons jamais eu moins confiance en les médias, il est désormais possible d’accéder à quasi toute l’information du monde très facilement.
Les coûts des journaux jadis dirigés vers la recherche et la production ne sont plus justifiables à l’ère de la connaissance instantanée et du smartphone: il n’y a qu’a voir les commentaires twitter suppliants des journalistes sur les vidéos d’exclu: “Can I please re-use this for my media?”
Internet permet de développer de l’audience et de la confiance rapidement pour un individu, d’où la forte croissance des newsletters.
En 2024, avec la quantité de fake news qui va émerger, il deviendra indispensable de croiser les données et de s’équiper d’outils performants: mais comme pour les médias et le logiciel, il ne sera plus nécessaire d’avoir des armées pour cela.
Demain, les médias seront des petites équipes qui opèrent avec une grande vélocité - et les béhémoths ne pourront s’en prendre qu’à leur hubris.
The first day of the future
Il y a tant d’autres sujets que j’aimerais aborder: les implants Neuralink d’Elon Musk, les avancées sur notre capacité à parler avec les animaux, les dangers de WorldCoin, etc.
La réalité est que 2024 sera une année charnière dans notre histoire commune: il n’a jamais été aussi évident que nous déclarons obsolète des traits psychologiques et culturels qui nous ont accompagné pendant des millénaires: le deuil, la mémoire, la conversation, et même l’amour.
Nous quittons notre nature comme un serpent qui mue: en 2024, nous allons parler avec les morts.