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En 2019, la journaliste renommée Bari Weiss quittait le New York Times en publiant une lettre ouverte assassine. Dedans, elle y expliquait que Twitter était devenu l’éditeur principal du journal, dont le seul objectif était de satisfaire une poignée d’internautes persuadée de détenir la vérité absolue.
“En réalité”, écrivait-elle, “la curiosité intellectuelle et la prise de risque sont devenues des fautes au New York Times. Pourquoi rédiger quelque chose d’intéressant ou d’audacieux quand on peut se payer en produisant le 4000eme article sur Donald Trump ? Ici, l’auto-censure est devenue la norme. Tous les journalistes vivent dans la peur. Cracher du venin est autorisé, du moment qu’il est dirigé sur les bonnes cibles.”
Ce court extrait n’est qu’un passage de la lettre, que je t’invite à lire en entier.
Mais comment donc a-t-on pu en arriver là, dans l’un des médias les plus prestigieux du monde ?
Méfiance et préjugés
Une étude américaine a démontré en 2019 que seuls 41% des Américains font au moins “un peu” confiance aux médias, un chiffre qui culminait à 72% il y a 50 ans.
Dans son équivalent Français, les interrogés affirment que les médias, y compris ceux qu’ils consomment le plus, sont déconnectés de la réalité, qu’ils traitent mal les sujets, et qu’ils ne résistent pas à la pression de l’argent et des politiques.
S’il est possible que cette réaction soit un symptôme de phénomènes plus globaux, que j’aborderai dans un prochain épisode, il est clair que la montée rapide des fake news et du clickbait n’y est pas pour rien.
Anatomie d’un titre trompeur
Considère cet article d‘un média prestigieux, titré : “Pourquoi les femmes ont plus de risques d'avoir un AVC que les hommes ?”
Au premier paragraphe, on lit : “130.000 personnes sont chaque année victimes d’un accident vasculaire cérébral en France, dont près de 50% de femmes.”
Puisque l’information contredit immédiatement le titre de l’article, je suis allé voir le papier de recherche sur lequel celui-ci s’appuyait.
Dans les premières lignes, il est écrit qu’à structure d’âge identique, le taux d’AVC était 1,5 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes, quel qu’en soit le type.
Le titre de l’article est par conséquent une contradiction directe de son contenu : un titre au moins trompeur, au pire mensonger.
Une personne qui n’aurait lu que le titre aurait pu propager cette information décontextualisée, persuadée que sa source était un gage de sa qualité.
Incompétence ou stratégie ?
La bourse ou la survie
On entend souvent que les médias reflètent les opinions des fortunes qui les possèdent.
Mais pour avoir travaillé de près avec des publications prestigieuses, il y a un moteur beaucoup plus évident dans les choix éditoriaux, que Bari Weiss a souligné : l’argent.
Aujourd’hui, les budgets publicitaires sont principalement destinés à des contenus vidéos : Youtube, Tik Tok, etc. Produire de la vidéo coûte cher, beaucoup plus qu’écrire des articles - par conséquent, deux options s’offrent aux médias : déplacer les budgets rédactionnels vers la vidéo ou adopter une stratégie de volume plutôt que de qualité.
Or, on sait que 55% des visiteurs lisent un article pour une durée de moins de 15 secondes.
Si on considère qu’un article a un temps de lecture moyen de 3 à 5 minutes, cela veut dire que la moitié des gens en lisent moins de 10%.
Si l’objectif est de générer du trafic sur la page, il est donc rentable de consacrer neuf fois plus de temps sur le titre que sur le contenu, et de s’assurer que les visiteurs resteront suffisamment pour que les publicités soient considérées comme vues - en général, 2 à 5 secondes.
Le mécanisme d’optimisation financière est donc simple : rédiger des contenus clivants, mesurer leurs performances publicitaires, et multiplier ceux qui fonctionnent.
Ainsi, les lignes éditoriales arrivent à mon sens en aval des opinions des lecteurs plutôt qu’en amont. Pour survivre, les médias sont contraints d’abandonner le travail journalistique au profit de ce que veulent lire les gens.
“Nous sommes tous l’imbécile de quelqu’un”
Il serait aisé de penser que seuls les plus ignorants succombent à ces pratiques. La réalité, c’est que cela touche tout le monde, car l’impartialité est humainement impossible.
Pourquoi des gens brillants ont parfois des avis radicalement opposés ?
Lorsque l’on reçoit une information, c’est notre cerveau émotionnel, aussi appelé limbique, qui la traite en premier.
À ce stade, on décide si l’on veut la croire.
Ensuite, notre cortex préfrontal prend le relais, et utilise toute ses capacités logiques pour défendre notre choix émotionnel.
Ainsi, si honnête soit-il, un journaliste est nécessairement biaisé - la confrontation de son travail par ses pairs, tout comme le peer review dans la science, est un mécanisme indispensable à la recherche de la vérité.
Mais comme en témoignent nombre d’entre eux, il est de plus en plus difficile d’avoir des avis divergents dans les médias, même les plus prestigieux. Et les répercussions sur les lecteurs sont importantes.
Aux états-unis, par exemple, les catégories de population les plus éduquées sont parfois les plus à côté de la plaque. Il y a même une corrélation directe entre l’erreur d’estimation et le niveau d’éducation : plus les populations sont éduquées, plus elles font confiance aux médias prestigieux, plus elles se trompent mécaniquement quand ceux-ci rapportent des inexactitudes.
De plus, nous obéissons à tout un tas de biais cognitifs, dont l’un des plus communs est l’extrapolation.
Notre cerveau a évolué pour combler des informations, afin de mieux appréhender notre environnement - en l’absence de chiffres ou de contexte, nous remplissons automatiquement les trous avec l’histoire qui correspond le plus à ce que nous voulons croire.
Le problème est donc beaucoup plus insidieux qu’un simple besoin d’éducation, car nous avons tous une pente idéologique.
Et si chacun admet aujourd’hui que les médias sont de moins en moins impartiaux, il y a un sujet sur lequel le doute est beaucoup moins présent.
Fact checking : le graal ?
Car une réponse systématiquement brandie à ce problème est celle du fact checking, qui permettrait de trancher une fois pour toutes.
Pourtant, il n’est pas rare de trouver des vérifications contradictoires d’une même information sur des médias différents, et pour cause : l’idée de vérifier un fait n’est valide que si nous possédons la certitude absolue de l’impartialité du fact checkeur.
“Il y a trois sortes de mensonges”, disait Mark Twain : “Les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques.”
Le choix des sources d’informations et leurs interprétations sont en effet clés dans le travail de fact-checking.
Or, depuis quelques années, Facebook finance massivement certains médias pour effectuer ce travail. Un béhémoth aux intérêts privé, qui finance des médias choisis afin de décider de ce qui est vrai, semble affreusement propice aux conflits d’intérêts.
En décembre 2021, le réseau social était d’ailleurs obligé d’admettre, dans le cadre d’un procès, que leur fact checking n’était qu’un reflet de l’opinion des médias qui le délivraient.
L’Elysée a aussi entretenu brièvement l’idée incongrue d’offrir son propre service de vérification - qui pourrait croire qu’un gouvernement serait impartial sur son traitement de l’actualité ?
La privatisation des médias, si imparfaite soit-elle, est toujours un contre pouvoir indispensable à la centralisation de l’information.
Aussi, il semble que le fact checking est une idée noble qui ne devient souvent qu’une méthode détournée d’appuyer sa propre ligne éditoriale.
Mais alors, comment sauver l’information ?
Autonomie journalistique
D’après-moi, le futur des médias se situe entre la creator economy et la responsabilité individuelle.
La plupart des médias ont testé un modèle de souscription, mais une partie infime des lecteurs finissent par payer - et les modèles alternatifs tardent à arriver. Le web a habitué les jeunes générations à consommer l’information gratuitement ou à donner selon leurs termes.
Alors de nombreux journalistes se tournent vers une carrière personnelle en créant des médias alternatifs.
Depuis son départ, Bari Weiss écrit par exemple une newsletter régulière sur Substack, plateforme sur laquelle je rédige ces mots. Une partie de son audience la rémunère pour effectuer un travail libre.
Le podcaster Joe Rogan, avec 11 millions d’écoutes en moyenne par épisode, a 4 fois plus d’audience sur Spotify que les shows des chaines américaines majeures comme CNN et Fox News.
La naissance de la creator economy a permis à chacun de rayonner, et la confiance accordée auparavant aux marques se porte désormais sur les individus.
Et pour soutenir ce virage, la blockchain et le Web3 pourraient offrir des mécanismes plus sains pour récompenser naturellement toute la chaîne de valeur, à l’instar du navigateur Brave.
Mais aucun de ces mécanismes ne nous permet de contourner la question qui fâche : celle de l’impartialité d’un média.
Responsabilité personnelle
La réponse ne peut qu’être individuelle : il faut adopter des pratiques de consommation de l’information plus saines.
D’abord, ne surtout pas récompenser le clickbait. Faire un effort conscient, avant de payer de notre clic, pour réfléchir à l’honnêteté du titre et à la pertinence du sujet. Et si l’on clique, prendre le temps de parcourir l’article au moins en diagonale.
Ensuite, pour que les journalistes soient moins dépendants de pratiques malsaines, il faut rémunérer ceux qui ne craignent pas d’admettre leurs biais et leurs erreurs.
Enfin, nous devons rechercher la vérité à tout prix plutôt que de suivre la pente de nos opinions. Ceci implique de croiser l’information, y compris avec des médias aux idées différentes des nôtres, en étant honnêtes avec nos émotions : en vertu des informations que j’ai, est-ce que je peux croire cette information, ou est-ce que je veux la croire ?
Dans une société qui se polarise à grande vitesse, il est plus que jamais indispensable de faire preuve de scepticisme et de mesure face à l’afflux de données que nous recevons.
L’enjeu n’a jamais été aussi important.
Peut-on faire confiance aux médias ?
J'espère et je crois que le web3 peut apporter une nouvelle manière de s'informer. On s'informe aujourd'hui, c'est terminé le temps auquel on informait le citoyen. Enfin, cela existe toujours dans les médias traditionnels télévisuels ou écrits financés par des subventions d'Etat. Mais la tendance est à la méfiance et à de nouveaux usages. Enfin !