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Ă Wimbledon en 2015, la championne Serena Williams se trouvait en difficultĂ© face aux balles courtes. âElle ne pensait pas comme Serena, elle ne pensait pas comme une championneâ, confie son coach, Patrick Mouratoglou.
Il l'a alors rassurĂ©e. âTu tâinquiĂštes, mais pas moi. Les statistiques disent que tu gagnes 80% des points au filet.â
Surprise par cette information, Serena a repris confiance, et pour la suite du tournoi, elle a effectivement continué à gagner 80% des points au filet.
Continué ?
En fait, Mouratoglou lui avait menti. Elle perdait beaucoup plus de points au filet. Mais ce qui comptait, pour lui, câĂ©tait quâelle se rappelle ce dont elle Ă©tait capable. âMensonge, pas mensonge, quâest-ce que ça change ? Le but est quâelle se sache capable de gagner, et cette stratĂ©gie Ă payĂ©. Le mensonge est devenu rĂ©alitĂ©â, conclut-il.
En se voyant plus forte quâelle ne lâĂ©tait, Serena est donc devenue ce quâelle pensait dâelle plutĂŽt que ce quâelle Ă©tait Ă cet instant.
Effet Pygmalion
En 1968, le chercheur Rosenthal mĂšne une expĂ©rience sur des enfants de primaire. En donnant Ă leurs professeurs des faux rĂ©sultats de tests de Q.I concernant leurs Ă©lĂšves, Rosenthal a observĂ© quâils traitaient diffĂ©remment ceux qui Ă©taient intelligents, augmentant leur confiance en eux⊠et leurs rĂ©sultats.
Ainsi, le simple fait de croire que les Ă©lĂšves Ă©taient meilleurs quâils ne lâĂ©taient les rendait meilleurs.
Cet effet a Ă©tĂ© nommĂ© lâeffet Pygmalion (synonyme de placebo), de la lĂ©gende du sculpteur tombĂ© amoureux de sa crĂ©ation. Câest un exemple classique de la prophĂ©tie-auto rĂ©alisatrice, que nous avions dĂ©jĂ abordĂ©e Ă propos de la fiction.
Un concept vieux comme le monde
La mention la plus ancienne que jâai trouvĂ© dâune idĂ©e similaire se trouve dans la bible. Proverbes, 23:7 : âCar selon quâil a pensĂ© en son Ăąme, tel est-ilâ.
âLe monde est un thĂ©Ăątre oĂč chacun joue un rĂŽleâ, Ă©crivait Shakespeare beaucoup plus tard, impliquant que la sociĂ©tĂ© nous perçoit davantage par ce que nous projetons que par ce que nous sommes vraiment, ce qui nous donne une meilleure chance dâatteindre nos objectifs en jouant un rĂŽle.
Ensuite, lâidĂ©e sâest propagĂ©e jusquâĂ notre culture populaire moderne : âFake it until you make itâ, âAct like you own the placeâ, tant dâidĂ©es qui signifient la mĂȘme chose : joue un rĂŽle, et tu deviendras ton personnage, car ton environnement tâidentifiera comme tel.
Duper notre cerveau
Ce qui est Ă©tonnant, dans lâhistoire de Serena Williams, câest la prĂ©cision avec laquelle ses statistiques ont fini par coller au mensonge qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ©. Comme si, par souci de cohĂ©rence, ses actions et ses pensĂ©es se nourrissaient mutuellement.
Ceci introduit une idĂ©e contre intuitive : on sait que nos pensĂ©es influent sur nos actions, et si lâinverse Ă©tait aussi vraie ?
PlĂ©thore dâĂ©tudes ont dĂ©montrĂ© que le fait de sourire davantage nous rend plus heureux, mĂȘme quand nous nâavons pas de raisons Ă©videntes de sourire.
En fait, notre inconscient est constamment en compétition avec notre conscience - le fameux moi et surmoi de Freud.
Notre conscience rationalise et notre inconscient dirige. En trompant notre inconscient, on peut convaincre notre conscience de se dépasser.
Ainsi, le meilleur moyen de changer lâidĂ©e que lâon se fait de soi, de vaincre nos croyances limitantes, câest dâagir. Mais câest une Ă©pĂ©e Ă double tranchant.
Agir en accord avec nos pensĂ©es sâappelle la congruence. Quand on nâest pas congruent, on rationalise lâinaction en hypothĂ©quant notre futur, comme si on disposait dâune quantitĂ© de temps infinie.
Se penser athlétique mais manger des chips toute la journée sur le canapé en repoussant le sport à demain, par exemple, est une contradiction qui finira inévitablement par nous punir.
En voyant notre brioche sâĂ©paissir, on finira par ne plus se percevoir comme une personne athlĂ©tique. Et le cercle vicieux commencera.
Polarisation
âQuand tu regardes dans lâabĂźme, lâabĂźme regarde en toiâ disait Nietzche.
Dans la littĂ©rature et les lĂ©gendes, lâeffet Pygmalion menait souvent au drame.
Les oracles de la Pythie, dans la mythologie grecque, Ă©taient auto-rĂ©alisateurs, mettant Ćdipe et PersĂ©e sur la route de leur destin.
La tragĂ©die Macbeth, de Shakespeare, est lâun des exemples les plus courant de ce phĂ©nomĂšne en littĂ©rature classique. On parle dans ce cas de prophĂ©tie autodestructrice.
Une mauvaise idĂ©e de soi nous transformera en une mauvaise version de soi. Alors le seul moyen dâaccomplir quelque chose dâambitieux, câest de se surestimer.
Dream big
âThink like a championâ, câest se surestimer par dĂ©finition, ou en tout cas surestimer la version courante de nous mĂȘme, avec les informations en notre possession.
Quand Michael Jordan commence sa carriĂšre et quâil nâa rien prouvĂ©, mais quâil affirme avec certitude quâil est numĂ©ro 1, câest soit quâil est en plein dĂ©lire, soit quâil a fait un emprunt de confiance Ă une version future de sa personne pour lâinvestir dans son potentiel.
Car il est trĂšs probable que notre conscience sous-estime nos capacitĂ©s, surtout lorsquâil sâagit de choses quâon nâa jamais essayĂ©es. En nous surestimant et en Ă©tant congruent, on est capable de dĂ©couvrir quelle est notre limite effective.
Or, le risque de se tromper en se surestimant est infiniment moindre que le risque inverse. On ne connaĂźtra notre potentiel maximum quâen essayant de le dĂ©passer.
On ne peut se comparer quâĂ ce quâon Ă©tait hier ou ce que lâon sera demain.
Alors revenons Ă notre Ăąme dâenfant : dream bigger.