Quand une erreur de traduction mène au drame 💬
Pourquoi tu ne dois pas négliger la traduction ; de l'importance du contexte
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En 1945, alors que l’Allemagne capitule, les pays vainqueurs organisent la conférence de Postdam. Les USA, l’URSS et le Royaume Uni se rencontrent pour décider du sort de leurs adversaires.
Ils optent alors pour envoyer un ultimatum au Premier ministre japonais, Kantaro Suzuki, en exigeant sa capitulation immédiate.
Celui-ci utilise dans sa réponse un terme polysémique, c’est à dire qui peut prendre plusieurs sens : mokusatsu.
De sa bouche, le terme exprime une temporisation : il souhaite s’abstenir de tout commentaire pour l’instant.
Mais les agences de presse et traducteurs japonais ont interprété ce mot comme un souhait “d’ignorer la demande des alliés”.
Convaincus que le Japon ne capitulera jamais, les USA prennent alors la décision de bombarder Hiroshima le 6 août, puis Nagasaki le 9.
Des mois plus tard, le gouvernement japonais précisera qu’ils souhaitait bien gagner du temps et non rejeter la demande.
Un seul mot qui a contribué à la mort de… 200 000 personnes.
Context is king
Bilingue par mon père américain, j’ai souvent fait de la traduction en freelance, pour des sujets business ou personnels.
Et il y a deux choses que j’ai remarqué.
D’abord, l’oubli fréquent que le contexte est vital.
Si je te demande à l’oral de me traduire “ver”, tu me demanderas de quoi on parle : de la couleur ? Du contenant ? De l’insecte ? De la direction, ou d’une expression ?
Le même groupe de mots sur un bouton d’achat, dans une phrase marketing ou dans un roman, ne portera pas le même sens.
Sans le contexte d’un mot ou d’une phrase, il est presque impossible de le traduire correctement.
Pourtant, la plupart du temps, on n’hésite pas à faire confiance aux algorithmes de traduction, qui par définition n’ont pas le contexte.
Le diable est les détails
Outre le contexte, j’ai remarqué un désintérêt systématique pour le détail - on pense souvent que si 90% du contenu est correct, c’est suffisant. Grave erreur.
L’anglais, spécifiquement, est une langue qui contient beaucoup de mots transparents, qui ont la même signification qu’en français.
Mais c’est aussi une langue qui contient de très nombreux faux-amis, dont l’utilisation est même parfois l’antithèse du propos que l’on cherche à exprimer.
En employant le terme “parité” pour désigner le taux de change entre les devises lors d’une visite au Canada, François Fillon a provoqué une vente massive et une chute de l’euro sur les marchés - car parity en Anglais, ça veut dire valeur identique, et la presse Anglo-Saxonne était convaincue que la France souhaitait intégrer une monnaie transatlantique.
Quand on reçoit une information, connaître sa langue d’origine est donc crucial.
Billard a 3 bandes
Le grand défi de la traduction, c’est que le sens s’édulcore à chaque itération.
Il suffit de faire l’exercice : prends n’importe quel paragraphe en Français, traduis-le dans n’importe quelle autre langue, puis à nouveau vers le Français. Il a perdu du sens. Fais le passer par 2 ou 3 autres langues, et ça devient complètement insensé.
Le roman “La Plaisanterie”, de Milan Kundera, a été traduit dans toutes les langues à partir d’une première traduction en français depuis le tchèque. En Angleterre, les chapitres ont été réorganisés ; en Espagne, les passages érotiques ont été censurés ; d’autres langues ont rendu le vocabulaire plus lyrique ou prosaïque.
Le résultat de cette double traduction était à chaque fois une sorte de créature difforme, qui n’avait absolument plus rien à voir avec le texte original.
Cette expérience a d’ailleurs tellement excédé l’auteur qu’il a appris le Français et re-traduit la plupart de ses livres lui-même dans cette langue d’adoption.
Intelligence culturelle
Car la traduction, c’est aussi et surtout une histoire de culture. D’un pays, d’une langue, mais aussi d’une entreprise. Outre le jargon, le même mot, dans la même langue, peut avoir des significations distinctes à des endroits différents.
L’histoire a forgé le sens des mots dans leur contexte. Si tu traduis “J’ai rêvé” en Anglais, il faut du contexte pour comprendre que choisir “I had a dream” porte une connotation particulière.
Tout comme “Think different”, le slogan d’Apple, paraît intraduisible sans abandonner l’impact qu’il a eu en son temps.
La différence entre un bon et un mauvais traducteur réside souvent dans sa capacité à estimer les limites de ce qu’il peut exprimer sans devoir faire appel à un expert pour mieux saisir le contexte.
Et dans cet exercice, les algorithmes sont malheureusement toujours préhistoriques.
L’âge de la robotique
En 2021, on s’apprête à pouvoir prendre des taxis volants, mais il n’existe toujours rien d’autre que l’humain pour une traduction fiable.
Si les progrès ont été monumentaux ces dernières années, l’incapacité de la machine à demander des clarifications la rend toujours très exposée à des erreurs grossières.
Elon Musk disait qu’il faudrait que la technologie des voitures en pilote automatique soit un million de fois plus sûre que la conduite manuelle avant qu’elle soit acceptée par le grand public.
Bien que peu de gens le réalisent, il en va de même pour la traduction.
Sur internet, 58% du contenu est consommé en Anglais - mal traduire son site ou son produit, c’est négliger plus de la moitié de ses clients potentiels.
Le modèle “Pinto” de Ford s’est très mal vendu au Brésil : dans leur langue, c’est une référence directe à la taille du sexe. Tout comme le Nokia Lumia en Espagne, qui est un synonyme de “prostituée”. Et les exemples de telles erreurs ne manquent pas.
Au fond, une traduction approximative sera souvent pardonnée, de la même manière que l’on comprend un texte truffé de fautes dans notre propre langue. Mais la perte implicite de confiance en la personne qui délivre le message est difficile à estimer, et indéniablement coûteuse.
Car derrière chaque mot et chaque phrase peut se cacher une immense profondeur et un grand pouvoir.
Un mot nous fait quitter une page ou acheter un produit. Un mot nous fait rejoindre ou quitter un mouvement politique. Un mot peut créer ou défaire une nation.
Et un seul mot mal traduit peut mener à une tragédie.