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Le but de la vie
On sent bien qu’il s’agit ici d’entreprendre la géographie d’un certain désert”.
Albert Camus, sur la quête de sens.
Peu de sujets ont tant animé les philosophes que le sens de la vie.
Dans l’article “Peut-on être trop heureux”, on montrait que trouver du sens à notre quotidien était un meilleur indicateur de réussite que le bonheur, et que des étapes comme celle de devenir parent renforçaient notre sentiment d’utilité, même si elles induisaient une perte de bonheur.
Mais pourquoi fait-on tout ça ?
Religion et lumières
Pendant longtemps, la tâche de trouver du sens était déléguée aux religions. On considérait que tout était connu, qu’il ne restait plus rien à résoudre. Les textes saints avaient la réponse à tout.
C’était une manière d’affranchir chacun de son fardeau existentiel, lui donnant une raison de se lever le matin même à travers les épreuves, promettant une vie future meilleure. Dostoïevski a magistralement illustré cette idée dans un chapitre de son roman “Les frères Karamazov”, que j’aborderai dans un futur épisode.
Dès lors que les conditions de vie des masses se sont améliorées, et accélérée par des inventions comme l’imprimerie, la méthode scientifique s’est propagée à grande vitesse à partir du 18e siècle, marquant le début des Lumières.
Introduisant la systématisation du doute et de la critique, les 4 siècles de progrès depuis ont malmené beaucoup de nos certitudes, et démontré que bien des explications sacrées ne résistaient pas à l’épreuve de la science.
Différents courants
La vision religieuse du sens, où l’Homme n’existe que pour rencontrer ou adorer son Dieu, est ainsi devenue insuffisante à la soif de connaissance humaine.
Dès lors, beaucoup se sont penchés sur la question du sens, s’appuyant parfois sur des penseurs qui précédaient l’émergence même du Christianisme, comme Platon. Celui-ci considérait que l’objectif de la vie était d’obtenir la plus haute forme de connaissance, l’idée du Bien.
Divers courants de pensée ont vu le jour depuis : l’Utilitarisme, qui dit que notre but est de minimiser la souffrance ou d’augmenter notre plaisir ; le Nihilisme, qui considère que la vie n’a aucun sens ; l’Existentialisme, porté notamment par Nietzche, qui prône que chacun doit créer son propre sens à la vie ; enfin, Kant considérait que l’impératif moral devait guider nos choix et donner du sens à nos vies.
Crise de sens
Mais la quête de plaisir est-elle suffisante ? Peut-on affronter l’adversité si l’on pense que rien n’a aucun sens ? Et si chacun doit trouver un sens à sa vie, par quel bout s’y prendre ? Comment déterminer l’impératif moral en cas de désaccord ?
Tant de questions qui m’ont poussé à observer le monde pour essayer d’en tirer mes propres conclusions, car comme disait Confucius “L’expérience est une lanterne qui n’éclaire que le chemin parcouru”.
Mon hypothèse est que nos sociétés modernes ont maximisé l’émancipation individuelle au prix du sens, et qu’il faut à présent trouver un équilibre.
Depuis quelques décennies, les dépressions ont massivement augmenté, accélérées par l’arrivée d’internet. Nous n’avons jamais eu si peu d’adversité, aussi l’adversité se développe en nous.
S’il y a une perte de sens, c’est probablement que certaines idées ne sont plus transmises naturellement par notre environnement. La sécularisation de nos sociétés en est l’une des causes.
Adopter un courant de pensée philosophique, c’est déjà consacrer énormément d’efforts à la question. Mais à l’échelle d’une société, le sens ne peut pas être théorisé : il doit être immanent, porté par la culture et les traditions.
Pour qui peut-on mourir ?
L’élément central dans les différents paradigmes est souvent la granularité du sens. Le meilleur moyen de cadrer le sujet est de se poser la question : pour qui est-on prêt à mourir ?
Mourir pour sa famille, sa patrie ou sa religion sont des échelles différentes de la même réalité : notre vie individuelle est moins importante que la réussite collective.
La prévalence de ces événements dans l’histoire démontre qu’intuitivement, notre espèce a toujours optimisé pour sa réussite collective, se structurant par les traditions - mais ce n’est pas propre qu’à nous.
Quand une maman chat abandonne un nouveau-né malade pour sauver le reste de sa portée, son objectif est la propagation de l’espèce, fusse-t-il au détriment de certains de ses individus.
Le gène égoïste
Dans son livre “Le gène égoïste”, le biologiste Richard Dawkins avance que les gènes, sur lesquels se base l’évolution des espèces, ne recherchent qu’une chose : leur propre survie.
Naturellement, comme les virus, leur survie passe par celle de leurs hôtes - mais c’est un produit de leur stratégie, pas l’objectif final.
On pourrait appliquer cette logique à l’humanité : le sens de notre vie pourrait transcender la reproduction car celle-ci serait un outil pour un but suprême. Agrandir l’espèce, comme pour les gènes, serait un moyen de s’approcher de l’objectif.
D’ailleurs, si le sens de la vie était la reproduction, on serait forcés de buter sur le prochain “pourquoi” dans la liste. Pourquoi diable se reproduire, d’autant plus dans des périodes historiques où le bonheur de nos enfants n’était pas évident (famines, pestes, guerres, etc.) ?
La réponse jadis était que les enfants pourraient nous donner un coup de main - mais au 21e siècle en Occident, l’argument n’est plus valable. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles on observe un déclin rapide de la fécondité.
Et si nous n’avons pas individuellement d’enfants, il faut quand même trouver un sens à nos journées, car notre vie peut s’arrêter du jour au lendemain. L’angoisse existentielle ne peut donc s’évaporer que si on pense qu’on aura apporté une pierre à l’édifice, une fois parti.
Collectif ou individuel ?
Puisque notre but individuel peut subsister après la mort, il en ressort que le sens de notre vie doit être collectif.
Tu pourrais me démontrer que certains de nos objectifs sont individualistes, voire vaniteux. Qu’en écrivant ces lignes, l’un des mécanismes de récompense que je recherche est la perspective de recevoir des éloges (et non les éloges elles-même, car comme pour les accrocs de casino, c’est l’espoir qui génère la dopamine et non le résultat).
Mais si, justement, la vanité n’était qu’un outil pour renforcer le collectif ? Autrement dit, si ce mécanisme biochimique avait pour but de me forcer à produire quelque chose qui semble être une récompense personnelle mais qui produirait des bienfaits pour mon environnement - sous forme d’inspiration ou de connaissances, par exemple - pour atteindre un objectif qui me dépasse ?
Sous une forme ou une autre, nos actions sont le plus souvent inconsciemment animées par le besoin de plaire ou d’appartenir à notre groupe social.
Cela ne veut pas dire qu’il faut se dissoudre dans une communauté, bien au contraire. Exceller individuellement sera souvent profitable à la société, par des mécanismes innés (liens sociaux) ou acquis (marché). Comme dirait un ami, “il faut être un bon ego avant d’être un alter-ego”.
Être une personne fiable est souvent une condition pour optimiser son bonheur personnel. Les Épicuriens le savent : la nature punit l’oisiveté. Notre alimentation et notre activité physique sont des variables déterminantes de notre espérance de vie.
La dernière question
Si notre but est collectif et qu’il dépasse la survie de notre espèce, alors c’est que nous en connaissons l’existence mais que nous en ignorons la teneur.
Autrement dit, le sens de la vie pourrait précisément être celui de continuer à pouvoir se poser des questions jusqu’à déterminer… si la vie a un sens.
Dans l’ouvrage “The Beginning of Infinity” le physicien David Deutsh propose que la raison pour laquelle nous n’arrivons pas à comprendre notre existence n’est probablement pas car le problème est trop complexe, mais parce qu’il serait trop simple.
La question a été traitée par Azimov dans sa nouvelle “La dernière question”. Dedans, un groupe de scientifiques met au point une machine baptisée “AC” pour lui poser la dernière question sans réponse : comment empêcher les étoiles de mourir, et la vie avec elles ?
Interrogée durant des périodes de temps immenses, la machine ne produit qu’une seule réponse “Il n’y a pas encore de données suffisantes pour une réponse significative.”
Mais un jour, bien après que le dernier esprit humain a fusionné avec la machine, celle-ci produit enfin un résultat :
Il n’y avait plus d’homme à qui l’AC pouvait donner la réponse à la dernière question. Peu importait. La réponse y pourvoirait, par démonstration. Le conscient de l’AC embrassa tout ce qui avait été un univers et songea mélancoliquement à ce qui était maintenant le Chaos. Pas à pas, cela devait être fait. Et l’AC dit : QUE LA LUMIERE SOIT ! Et la lumière fut...