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Mexique, octobre 1968. Les jeux Olympiques battent leur plein. Parmi les centaines de sportifs dans le stade, l’un d’eux sort du lot : c’est le seul amateur. Là où d’autres s’entrainent des heures par jour, lui le fait comme un loisir car il veut un jour devenir ingénieur. Pourtant, il est parvenu en finale de sa discipline : ils ne sont plus que deux. Ed Caruthers, l’immense favori, effectue son saut en hauteur mais échoue à passer les 2.24m.
C’est au tour de Dick, notre amateur, de s’élancer : à la stupéfaction générale, au lieu de sauter face à la barre comme l’ensemble de ses adversaires, il se retourne et passe la barre de dos - elle ne tremble pas. Il est sacré champion.
Dick Fosbury remporte ainsi l’or olympique en inventant une technique qui est devenue la norme depuis : le Fosbury-flop.
En mettant au point une méthode que pas un seul de ses concurrents professionnels n’avait imaginée, et que les juges ont fini par accepter avec amertume, un ingénieur passionné de sport est parvenu à prendre une médaille d’or olympique dans une discipline phare.
Cet exploit, c’est celui d’une intersection de compétences uniques : le monopole personnel.
Unique = monopolistique
Le monopole personnel, c’est cette idée que nous avons tous une somme de centres d’intérêts et de compétences, et que c’est dans leurs intersections que nous apportons le plus de valeur à la société.
Là où se spécialiser dans une discipline est plutôt courant, être spécialiste de deux disciplines est beaucoup plus rare. Leur combinaison a donc une valeur énorme.
Plus on ajoute des dimensions, plus le résultat est rare, plus il est précieux, jusqu’à devenir unique dans nos compétences : c’est un monopole.
Des spécialistes du marketing, il y en a beaucoup - un spécialiste du marketing féru de hockey sur glace, il y en a déjà beaucoup moins et les entreprises auxquelles il peut apporter un maximum de sa valeur sont évidentes. Rajoute encore une passion ou un intérêt connexe et il devient absolument seul dans sa discipline, décuplant une nouvelle fois sa valeur pour ceux qui en ont besoin.
Fosbury, qui n’avait jamais été très bon en saut en hauteur avec la technique reine de l’époque, avait un esprit d’ingénieur - en voyant le corps comme une mécanique, il lui semblait évident que le bassin pouvait atteindre une hauteur plus importante en se courbant sur le dos que de face, surtout pour faire passer les jambes qui se plient dans le même sens. En bon ingénieur, il a essayé dès son plus jeune âge différentes méthodes jusqu’à mettre au point celle-ci durant son adolescence.
Comme toute innovation, il a reçu avec son saut bizarre des moqueries et des protestations des jurys, mais comme tout pionnier il a persévéré. Et ça a payé.
Trois ans après sa médaille d’or, Fosbury a abandonné le sport au profit de sa carrière d’ingénieur : le saut en hauteur était juste un vecteur d’innovation à ses yeux.
Les monopoles personnels sont ainsi la source de la plupart des inventions : comme nous en discutions dans l’article sur la spécialisation, les généralistes qui s’intéressent à un nouveau domaine ont une facilité à innover et à faire des prédictions souvent supérieures aux experts. Car ils ont davantage d’intersections de compétences.
Popularisé récemment, notamment par le créateur de Visualize Value Jack Butcher, dont l’intersection est designer/entrepreneur, ce concept va de pair avec l’émergence de la creator economy : un groupe grandissant d’individus qui vit de ses intersections de compétences.
Vers la fin des entreprises ?
Dans une conversation entre Naval Ravikant, un entrepreneur américain dont le monopole personnel se situe entre la philosophie et la technique, et Joe Rogan, qui cumule les compétences de professionnel d’arts martiaux, humoriste et podcaster, Ravikant émet l’hypothèse que chaque personne travaillera un jour pour elle même, sans entreprises ni salariat - grâce à son monopole personnel.
Ceci est dû, d’après-lui, à une combinaison de facteurs.
D’abord, Ravikant soutient que l’automatisation du travail par la technologie ne sera pas une automatisation de tous les corps de métiers, seulement des métiers répétitifs. D’après son approche schumpétérienne, chaque métier rébarbatif disparaitra au profit de métiers créatifs - et c’est une aubaine.
Ensuite, l’entrepreneur remet en question le rôle du salariat avec la perspective de l’évolution de nos sociétés.
D’une civilisation nomade, nous avons dû devenir grégaires à cause des différentes contraintes de l’époque : des transports limités, des moyens de communication primitifs, une compétition sanglante pour la nourriture et la terre, et une nécessité d’avoir des métiers physiques faute de technique avancée, ce qui favorise l’émergence de systèmes centralisés comme des entreprises.
Celles-ci ont un avantage à employer un salarié lorsque les coûts de faire entrer régulièrement ses compétences dans le flux de travail en tant qu’externe sont trop élevés.
En résulte des entreprises toujours plus grandes et complexes, dont une partie importante de l’énergie est gaspillée dans des processus bureaucratiques, où les salariés sont de moins en moins connectés entre eux et avec la hiérarchie.
Plus la technologie progresse, plus ces facteurs évoluent : les transports modernes nous permettent d’habiter de plus en plus loin les uns des autres ; internet nous permet de collaborer entièrement à distance ; des outils digitaux nous permettent d’ajouter facilement des nouvelles personnes à notre flux de travail ; des plateformes nous permettent de trouver immédiatement n’importe qui dans le monde avec l’intersection de compétence dont nous avons besoin ; enfin, des systèmes décisionnels décentralisés tels que la blockchain voient le jour.
Ainsi, les coûts de faire grossir une entreprise pourraient rapidement excéder ceux de garder une flexibilité et une organisation à taille humaine. En éliminant les complexités bureaucratiques, chacun pourrait devenir plus efficace, compétent, et proche de ses interlocuteurs.
En poussant ce scénario à son paroxysme, il pourrait exister un futur où nous avons tous notre propre entreprise au service de plusieurs autres, avec une collaboration sans frottement, pour n’accomplir que des tâches créatives sur notre monopole personnel.
Si cette vision est probablement utopique, ses fondamentaux sont déjà naissants sur internet : car la technologie est le moyen le plus sûr de souligner notre caractère unique.
Devenir une marque
Cultiver son monopole personnel, c’est prendre conscience que nous sommes tous une marque sur internet, avec des forces et des faiblesses perçues par nos pairs, un système de valeurs, et une visibilité.
Communiquer, publier, créer du contenu, c’est prendre le contrôle de sa marque, pour en dégager des opportunités - financières ou pas.
Qu’on la crée ou qu’on la subisse, notre perception aux yeux de nos futurs clients, associés, amis, employeurs, salariés, existe. Alors autant écrire notre propre histoire et démontrer notre monopole personnel.
Il n’est jamais trop tard pour commencer.