Pourrait-on voter différemment ? 🗳
Notre système électoral est-il améliorable ? L'exemple du jugement majoritaire
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La manière dont ont été classés les candidats lors de la primaire populaire de la gauche en janvier n’a pas manqué d’amuser internet : chacun avait reçu une mention, comme les étudiants : très bien, bien, passable, etc.
Si le choix sémantique est cocasse pour un enjeu politique, la manière dont a été réalisé ce vote est néanmoins intéressante.
Car si le gros de l’énergie en politique est consacré à juger les candidats, on oublie trop souvent de juger les systèmes. Et celui qui a été proposé lors de la primaire populaire a le mérite d’exister.
Un système démocratique idéal, d’après-moi, doit avoir deux composantes clés : récompenser les candidats les plus populaires, mais aussi et surtout, leur permettre d’émerger plus facilement dans l’arène politique.
Le problème
Nous avons la chance de vivre en démocratie, mais notre système de scrutin est imparfait. Il n’y a même pas besoin de l’analyser pour le voir : l’existence des principes de vote utile et de vote protestataire en sont le témoignage.
L’un consiste à voter pour un candidat qui nous déplaît pour éviter pire alternative, et l’autre consiste à voter contre un candidat qui nous déplaît, peu importe l’alternative.
Ces mécanismes sont dysfonctionnels, mais leur raison est simple : plus une famille politique est fragmentée en petit candidats, plus ceux-ci se partagent un électorat aux idées proches.
En découle la possibilité qu’une famille politique ne soit pas représentée au second tour alors qu’elle aurait probablement gagné si elle y était parvenue, à l’instar de Jospin en 2002.
Pour 2022 et comme souvent, le thème est donc à l’union : union des gauches, union des droites, des Républicains, etc.
Mais pourrait-il exister de meilleurs systèmes démocratiques, pour s’épargner les votes de dépit ?
Plusieurs modèles existent dans le monde, chacun imparfait : certains où l’on choisit plusieurs candidats mais on ne peut pas dire à quel point on les apprécie ; d’autres où l’on classe les candidats par préférence pour faire des tours virtuels, mais qui mène à des situations paradoxales où le candidat favori est aussi éliminé au premier tour.
Deux chercheurs français, Balinski et Laraki, se sont penchés sur la question et ont proposé un système qui paraît bien plus équitable, où les candidats héritent de mentions : celui qui a été utilisé par la primaire populaire de la gauche.
Le jugement majoritaire
Ce système s’appelle le jugement majoritaire.
L’idée est de donner des mentions à chaque candidat parmi les 6 suivantes : très bien, bien, assez bien, passable, insuffisant, et à rejeter.
Chaque électeur donne une mention à chacun des candidats. Ensuite, au dépouillement, on regarde quel candidat a obtenu la plus haute mention majoritaire, c’est à dire qui récolte plus de 50% des voix. Par exemple, un candidat qui a obtenu au moins « assez bien » chez plus de 50% de la population gagnera contre un candidat qui a obtenu au mieux « passable » pour ces même 50%.
En cas d’égalité, c’est à dire si plusieurs candidats ont la même mention majoritaire, on choisit le plus proche de la mention du dessus. Par exemple, un candidat qui a au moins 45% de « bien et mieux » sera préféré à un candidat qui a seulement 40% de « bien et mieux », même si les 2 ont une mention majoritaire « assez bien ».
Ce système - même s’il doit se doter d’une nomenclature plus sérieuse - est efficace pour contrer plusieurs des faiblesses évoquées plus haut.
D’abord, les petites candidatures ne changent pas l’issue du scrutin, car tous les candidats que l’on apprécie hériteront de mentions proches, et ne pourront pas se cannibaliser des voix.
Il n’y a aucun intérêt non plus à faire un vote stratégique, car même si on note intentionnellement mal tous les candidats que l’on ne souhaite pas, ils seront en dessous de la mention majoritaire. Noter un candidat « À rejeter » ou « insuffisant » ne changera pas l’issue du scrutin si 50% des électeurs lui ont attribué une meilleure mention.
Sur le papier, ce système semble donc excellent.
Utopie ou désillusion ?
Revenons-donc à notre système d’évaluation : ce système permettrait-il de faire émerger les meilleurs candidats ? C’est discutable. Dans l’idée d’avoir la meilleure mention majoritaire, il semblerait que la stratégie politique idéale soit de ne froisser personne et de dire au maximum de gens ce qu’ils veulent entendre, pour pouvoir obtenir une mention correcte chez la plupart des électeurs. Cette stratégie à un nom : la démagogie.
Ce système récompenserait-t-il alors les candidats les plus populaires ? Oui, mais ça dépend de notre définition de la popularité. Un candidat considéré « passable » par 100% des gens semble préférable à un candidat considéré « excellent » pour 49% des gens et « insuffisant » pour 51% d’autres : c’est proche du système Américain, où les extrêmes sont représentés dans les partis majoritaires faute d’offre politique.
Mais un candidat qui obtiendrait 100% de “bien” serait-il préférable à un candidat qui aurait 49% de “Très bien” et 51% de “Assez bien” ? Il y a une autre manière d’aborder la question : préfère-t-on un candidat moyen dans tous les sujets ou excellent dans certains et moins bon dans d’autres ? Il semblerait que l’on vote davantage pour certains thèmes clés très précis.
Dans son livre « the hard thing about hard things » Ben Horowitz différencie deux types de PDGs : les PDGs de guerre, quand la société va mal, et les PDGs de paix, quand la société se porte bien. Selon lui, un PDG n’est bon que dans une de ses disciplines, et personne ni aucun système n’est parfait tout le temps. L’enjeu est l’adaptation.
D’après-moi, la politique obéit aux mêmes règles. La possibilité d’un système parfait et intemporel me paraît philosophique plutôt que mathématique. Le système idéal est probablement contextuel à une époque, une situation, et un point de vue.
Certains candidats dans l’histoire ont été incontestablement élus par une préférence du public et ont mené au drame. D’autres, d’abord impopulaires, sont parvenus à réconcilier de grandes dissensions.
Je crois que la politique est le miroir d’un peuple. Soyons beaux, et tel sera notre reflet.
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