Pourquoi sommes-nous fascinés par les génies du mal ? 🚩
L'effet cobra et la triade sombre de personnalités : machiavélisme, narcissisme, et psychopathie
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Quand l’Inde était encore une colonie Britannique, la ville de Delhi se trouva face à un problème venimeux : une population de cobras grandissante terrifiait les habitants de la ville.
Le gouvernement eut une idée de génie : offrir une récompense en cash pour toute personne qui ramènerait un cobra mort. En mobilisant la population, les autorités s’épargneraient des efforts et grâce à l’énergie collective, le problème serait vite réglé.
Pas vrai ?
Quelques mois plus tard, le constat était évident : non seulement le problème n’était pas résolu, mais il y avait plus de serpents que jamais.
Le plan était parfait. Qu’est-ce qui s’était mal passé ?
La réponse est simple : le système parfait était opéré par des outils imparfaits. Des humains. Nombre d’entre eux avaient commencé à élever des cobras pour maximiser les primes du gouvernements.
Ce phénomène a un nom : l’effet cobra, aussi appelé l’incitation perverse, dont l’histoire regorge d’exemples.
Nature humaine
Ce genre d’anecdotes ont tant piqué mon intérêt plus jeune que j’ai développé une fascination pour la nature humaine.
Puisque l’humain va opérer tout système économique, social, ou politique, ne pas tenir compte de son fonctionnement dans la manière dont nous les imaginons est équivalent à créer un avion sans tenir compte de la gravité.
On reconnaît les raisonnements fallacieux qui n’en tiennent pas compte quand ils commencent par “il suffit de” ou “si on décidait tous de”, ou encore “mais pourquoi on n’arrête pas de”… Ces réflexions seraient valable si tous les humains opéraient avec des systèmes de valeurs similaires, partageaient des objectifs communs, et étaient infaillibles.
Mais tant que nous ne serons pas des robots, il faudra composer avec la vastitude des opinions et des mœurs et s’épargner de créer des systèmes qui pourraient être facilement détournés.
Et lorsqu’on étudie notre nature, les individus qui nous fascinent le plus sont ceux qui sont si éloignés de nous qu’on se demande parfois si on est de la même espèce. Certains traits de caractères qui font les personnages malveillants, comme les dictateurs, les tueurs en série, ou les escrocs célèbres, sont des machines à cash : il n’y a qu’à regarder le catalogue des plateformes de streaming.
Ces traits de caractères sont au nombre de trois.
Génies du mal
Quelle que soit l’échelle où ces personnes opèrent, les génies du mal ont en commun ces attributs :
D’abord, ils ont la certitude d’être supérieur aux autres. Ça leur donne la légitimité de prendre des décisions fermes, et dans le cas des dictateurs, de créer un culte de la personnalité. Ces personnages se perçoivent souvent comme des envoyés divins ou des demi-dieux.
Ensuite, ils voient le monde comme un échiquier où chaque personne est manipulable, utilisable et jetable selon leur plan. L’atteinte de leurs objectifs est un jeu subtil de charme et le maintien de leur statut implique systématiquement la trahison de leurs amis passés.
Enfin, pour pouvoir mettre en oeuvre ces deux premiers points, il faut une faculté innée à comprendre ce que ressentent les gens, sans partager leur souffrance. Ça permet de galvaniser ses interlocuteurs, d’utiliser les mots justes et de créer une histoire ou une propagande efficace pour s’entourer d’alliés serviles.
La triade sombre
Les psychologues ont donné un nom à ces traits de caractère : la “dark triad” ou “triade sombre” de personnalité. Elle est composée du :
Narcissisme, la certitude d’être supérieur aux autres
Machiavélisme, qui consiste à manipuler les autres pour arriver à nos fins
La psychopathie, qui implique avoir un détachement des émotions des autres, parfois couplée avec une faculté à les comprendre. C’est la différence entre sympathie et empathie.
Ces traits de caractère sont chacun sur un spectre et pas nécessairement liés. Il est possible d’en avoir un ou plusieurs, et à différents degrés.
Origine
Comment les développe-t-on ?
Il a été démontré que ces traits de caractère ont un fort lien avec notre génétique et sont donc plutôt innés. Cependant, leur développement et degré de gravité dépendent beaucoup de notre environnement, surtout pendant notre enfance.
La quantité de chaos dans laquelle nous avons grandi est l’une des sources majeures de corrélation avec la triade sombre. Chaos n’est pas synonyme de pauvreté : des parents violents, divorcés, une fratrie à problèmes et le harcèlement à l’école en sont des catalyseurs.
Encore plus intéressant, ces traits ont tendance à être plus importants dans la vie de jeune adulte et à s’estomper par la suite.
On présume que l’acquisition d’expérience de vie, de maturité émotionnelle, et la confiance en soi qui résulte de trouver sa place dans la société permettent d’apprivoiser nos côtés sombres.
Implications
Alors, est-il avantageux d’avoir l’un ou plusieurs de ces traits de caractère ?
La réponse est oui, si on le mesure du point de vue de son hôte.
Les personnes narcissiques, par exemple, ont tendance à avoir des plus hauts salaires. On suspecte qu’ils sont plus actifs dans la négociation, qu’ils cherchent naturellement des postes mieux payés et qu’ils en développent les compétences pour satisfaire leur vision d’eux-même.
Par ailleurs, le narcissisme dans la population des pays individualistes a explosé ces dernières années- probablement le résultat d’un auto-centrisme grandissant, accéléré par l’arrivée d’internet qui a précipité l’abandon de coutumes plus communautaires comme les religions.
Les personnes machiavéliques ont tendance à accéder à des plus hauts postes, probablement pour des raisons similaires.
Les psychopathes, quant à eux, ont en moyenne moins de succès dans leur carrière - que l’on devine découler de leur incompatibilité avec une société saine (car 20% des prisonniers sont psychopathes), mais ils sont davantage représentés dans certaines professions comme PDG, avocat, chirurgien, mais aussi journaliste - probablement car il leur est plus facile de prendre des décisions qui impactent la vie des gens.
Autre conséquence prévisible de leur meilleure réussite perçue, les hommes hauts sur la triade sombre plaisent davantage aux femmes.
Enfin, ceux qui se placent en victime ou qui font étalage de leurs vertus sont aussi surreprésentées sur ces traits. C’est pour certains un moyen facile de tirer profit des personnes naïves et sympathiques, qui est d’autant plus délétère pour les réelles victimes.
C’est ce qu’Amber Heard est aujourd’hui accusée de faire par Johnny Deep, même si son diagnostic psychologique fait état de troubles du comportement toxiques (histrionique, borderline), plutôt que de traits de caractère sombres.
Que faire de tout ça ?
Alors, que faire avec ces gens-là ?
On pourrait postuler que si des métiers vitaux à la société, comme chirurgien ou avocat, nécessitent une sensibilité amoindrie, peut être que des psychopathes intégrés et fonctionnels nous sont plutôt utiles.
En tout cas, puisque ces traits sont au moins en partie génétiques, il semblerait qu’ils n’affectent pas nécessairement la capacité de leurs porteurs à fonder des familles.
Comme pour le cas des maladies génétiques, des questions éthiques majeures vont se poser au 21e siècle avec un enjeu central : l’eugénisme (c’est d’ailleurs le thème de mon roman d’anticipation).
À quel point voudra-t’on s’épargner ces individus et ces maladies si nous le pouvons ?
À quel point tient-on à conserver un lien avec notre nature ?
Jusqu’où allons-nous jouer à Dieu ?
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