Pourquoi Obama portait-il toujours la même chemise ? 👔
La science des choix et les 4 types de décisions récurrentes
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La première fois que j’ai vu mon ami Marc jouer au poker en ligne sur 24 tables simultanément, je n’en croyais pas mes yeux. Il m’avait assuré que c’était le cas, mais j’étais certain qu’il bluffait.
Superposées les unes sur les autres, les tables réapparaissaient quelques secondes à l’écran avec des éléments nouveaux : le nombre de jetons en jeu de chaque joueur, ceux qui s’étaient couchés, les nouvelles cartes tirées, etc.
En quelques secondes, il prenait une décision, et la table disparaissait derrière les autres, souvent sans que je puisse voir comment se terminait la main en question.
Après une heure de jeu - soit 1000 mains jouées - il n’avait aucune idée du gain ou de la perte qu’il venait d’effectuer. Il a lancé son tracker, logiciel qui suit ses performances, et s’est plongé dans une lecture statistique de sa session.
Mais ce qui m’a le plus fasciné, c’est le détachement qu’il avait vis-à-vis de situations individuelles. Après avoir misé des tapis à plusieurs centaines d’euros, il était incapable de dire s’il avait perdu ou gagné telle ou telle main dans lesquelles il était statistiquement favori.
“En fait, ça m’aide à être meilleur.” m’a t-il dit. “Le poker, c’est la loi des grands nombres : je dois jouer cette main de la meilleure manière possible, autant de fois qu’il le faudra. Si je perds mon sang-froid parce que j’ai perdu un tapis où j’étais favori, par exemple, ma qualité de décisions sur les 1000 prochaines mains sera altérée… et je perdrai beaucoup d’argent”.
Cette expérience a été instigatrice d’une réflexion qui m’anime depuis : quel est l’impact des décisions triviales et récurrentes dans nos vies ?
Romantisme et réalisme
Nous évoquions la semaine dernière le regret minimization framework de Bezos, version moderne de l’adage Memento Mori, qui stipule qu’il ne faut rien regretter. L’école de pensée la plus romantique, c’est que la vie se joue à quelques décisions, comme celle de quitter son poste à Wall Street pour créer Amazon.
Mais ce qui a construit ce béhémoth depuis, ce sont des centaines de décisions chaque jour : une faible variation de leur qualité moyenne aurait eu un impact immense sur son succès.
Comment donc garder une consistance importante dans nos choix ?
Limiter leur nombre
De nombreuses personnalités, à l’instar d’Obama ou encore de Mark Zuckerberg, sont connues pour limiter le nombre de décisions quotidiennes, notamment en simplifiant les plus triviales comme les repas (d’où la mode du “meal prep”, qui a conquis 2 millions d’utilisateurs sur reddit) ou encore la tenue vestimentaire.
“Je veux vraiment épurer ma vie afin d’avoir le moins de choix possibles à effectuer, sauf pour mieux servir la communauté [de Facebook]” a répondu Zuckerberg, interrogé sur le tee-shirt gris qu’il porte tous les jours. “De nombreuses théories psychologiques ont montré que les décisions triviales consomment notre énergie.”
On appelle ça la “decision fatigue”. Et elle peut effectivement avoir des impacts majeurs dans nos vies. Une étude menée aux USA a montré que les détenus jugés tôt le matin obtenaient une libération conditionnelle 70% du temps, tandis que ceux qui étaient reçus en fin de journée obtenaient la clémence des juges moins de 10% du temps.
Pire encore, le même prisonnier recevait une condamnation plus sévère à quelques jours d’intervalles après avoir été jugé l’après-midi plutôt que le matin.
Les travaux sur la decision fatigue ont montré que notre énergie décisionnaire était une jauge finie, chaque jour : l’effort dépensé à lutter pour ne pas acheter ce paquet de M&Ms ne pourra pas nous sauver pour la prochaine tentation.
Autre exemple frappant : les chercheurs ont séparé des cobayes en 2 groupes. L’un devait passer par une série de choix, comme la couleur d’un tee shirt ou l’odeur d’une bougie, tandis que le second allait directement à l’expérience principale : plonger sa main dans de l’eau glacée.
Ceux qui n’avaient pas eu de choix précédent à effectuer ont tenu en moyenne 72 secondes avant de sortir leur main de l’eau, contre… 28 pour les “électeurs”. Leur résilience avait été entièrement drainée.
Tu imagines l’impact dans une vie ?
Pour lutter contre ce phénomène, il est donc indispensable d’avoir conscientisé les types de choix qui s’offrent à nous, et d’avoir un système pour les traiter.
Un choix vaut mieux que deux “j’hésite”
Nous appliquons parfois une énergie démesurée à des choix simples, plutôt que d’opter pour une approche “good enough”, souvent plus efficace sur de larges volumes.
“Le mieux est l’ennemi du bien”, disait Chateaubriand : consacrer une heure à choisir son prochain carrelage semble raisonnable, mais la même quantité de temps sur les menus Netflix pour trouver un film est une dépense superflue.
La philosophie “Fail Fast”, abondamment utilisée dans les startups, propose judicieusement que mieux vaut aller dans la mauvaise direction avec conviction pour s’en rendre compte rapidement, plutôt que de consommer trop d’énergie dans l’hésitation.
Autrement dit, mieux vaut passer 5 minutes à regarder un film bidon pour pouvoir zapper rapidement, que de passer dix fois plus de temps à naviguer les menus.
Une fois, ce n’est pas grave. Mais cela devient plus problématique quand ce scénario devient une habitude.
Gérer ses habitudes
Dans son ouvrage Atomic Habits, James Clear nous exhorte à améliorer notre quotidien par les habitudes : ce sont des choses courtes et très répétitives qui peuvent nous construire ou nous détruire à petit feu.
20 minutes de sport ne change pas notre vie, mais 20 minutes de sport tous les jours pendant 10 ans fait de nous une personne entièrement différente - surtout si l’alternative était de grignoter des chips.
La philosophie de James Clear, c’est de forcer nos habitudes négatives à devenir des contraintes, et les positives à nous récompenser tout en devenant incontournables :
Mettre les chips dans le placard le plus éloigné, et les fruits sur la table du salon
Ranger le sac de sport dans l’entrée pour nous forcer à l’enjamber quand on sort
Désactiver les notifications des applications sociales, et activer celles des applications bien être.
Il faut environ 3 semaines pour développer une habitude. Une fois celle-ci bien ancrée, ce n’est plus une décision mais un réflexe, qui épargne notre jauge de decision fatigue. Il ne reste plus qu’à traiter les choix importants.
Développer ses principes
Dans l’article “Ne fais rien que tu ne sais pas mesurer”, je soutenais que tout effort important doit devenir une leçon.
Ceci était notamment inspiré du bouquin “Principles” de Ray Dalio (dans mon top 5 de 2020), qui a consacré une partie importante de sa vie à créer des systèmes pour ne jamais refaire une erreur déjà commise. Ce modèle est un ensemble de boucles qui le forcent à évaluer systématiquement les conséquences d’un choix, et à en tirer des apprentissages.
Dalio explique que dans sa carrière d’investisseur, il a eu deux vies : une avant de comprendre que la plupart des événements qui étaient inédits à ses yeux étaient déjà arrivés dans le passé sous une forme plus ou moins proche, et une après.
C’est à ce stade qu’il s’est plongé très loin dans l’histoire pour ne pas réitérer les erreurs que d’autres ont fait avant lui, et qu’il en a fait un système, puis des principes. Ces principes lui permettent de trancher rapidement sur n’importe quel sujet, sans avoir à puiser dans sa jauge de décision.
En ayant une vision analytiques de nos décisions passées, nos choix futurs peuvent devenir évidents.
Les 4 niveaux de décision
Armé de ces outils, une personne déterminée (et un peu obsessionnelle) dispose d’un système pour gérer chacun des 4 niveaux de décisions :
Les choix triviaux et récurrents → abolis ou automatisés
Les choix fréquents → devenus des habitudes
Les choix importants → décortiqués et transformés en principes
Les sauts dans le vide → Memento Mori
S’il n’est pas vital de mettre en place ces outils pour avancer, réaliser leur importance peut déjà représenter un gain d’énergie important au quotidien.
Penses-y la prochaine fois que tu hésiteras entre regarder Friends et The office - et choisis The office. 😉