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En 1994, le président de la chambre des représentants des États-Unis, Newt Gringrich, découragea les députés nouvellement élus de déménager à Washington avec leur famille, pour éviter qu’ils ne sympathisent avec les démocrates.
En laissant les partisans de chaque parti dans leur bulle, la politique s’apprêtait à devenir plus tribale que jamais.
30 ans plus tard, ce mécanisme s’est propagé à l’intégralité de la population, pas à cause d’un choix politique, mais à cause d’une technologie qui devait nous en préserver : internet.
État des lieux
Dans mon article sur le déclin des empires, je faisais mention de quelques statistiques alarmantes.
Unanimement, les américains font moins confiance aux médias : 41% en 2021 contre 76% 50 ans plus tôt.
Les deux partis américains n’ont jamais été plus divisés idéologiquement - là où en 1994, ils étaient d’accord sur la plupart des sujets avec quelques divergences qui marquaient leur appartenance politique, ils sont aujourd’hui divisés sur la plupart des sujets.
Chaque parti est plus prompt à la violence contre ses opposants, et on parle même de sécession. Des débats majeurs, parfois ineptes, animent les médias.
Le rêve Américain s’est envolé.
Déclin des empires
Comme Ray Dalio l’exprime dans son ouvrage, ces phénomènes sont normaux, au sens historique : les empires naissent, grandissent, puis s’affaiblissent jusqu’à disparaître. Les USA en sont à la dernière étape de ce cycle, en témoignent les crises économiques et politiques.
Mais à travers les siècles, la chute des empires a eu différentes manières de s’exprimer, ses symptômes étant parfois liés à des facteurs contemporains.
La variable la plus caractéristique de notre temps est celle d’internet, et c’est par celle-ci que s’exprime les maux qui rongent l’Occident.
Tour de babel
Les sciences sociales ont identifié 3 forces principales permettant la cohésion dans un pays : le capital social, des institutions fortes, et des récits communs.
Toutes trois ont été affaiblies par les réseaux sociaux.
Leur démocratisation au début des années 2010 a été corrélée à de nombreuses statistiques alarmantes, notamment chez les jeunes, comme le taux de dépression et de suicides, surtout chez les filles.
Ce que ces plateformes ont permis est une pression sociale constante, une exposition permanente à l’humiliation sociale potentielle, et une exacerbation du “fear of missing out”, ce sentiment de rater des événements importants auxquels participent nos pairs.
Ils n’ont pas permis d’attaquer avec davantage de violence, mais ils ont permis à une minorité agressive d’attaquer plus rapidement des groupes importants de gens.
Par conséquent, ils ont augmenté en nous l’envie et le besoin d’appartenir à un groupe social bien défini, quel qu’en soit le prix.
Une étude américaine a catégorisé 8000 participants en 7 groupes. Le groupe le plus à droite, “conservateurs dévoués” comprenait 6% de la population, tandis que le groupe le plus à gauche, les “activistes progressistes” comprenait 8% de la population. Ces derniers étaient de loin les plus actifs sur les réseaux sociaux.
Par ailleurs, ces deux groupes partagent un trait : ils sont composés des plus riches des américains, ce qui laisse à penser que les USA sont déchirés par une minorité qui n’est pas représentative du reste de la population.
Auto-censure
Le danger de la radicalité en ligne est celui de la destruction de la confiance : dans les institutions et dans ses concitoyens.
Sur les réseaux sociaux, les publications qui déclenchent les émotions sont les plus susceptibles d’être partagées, et des mécanismes comme le retweet et le share, introduits en 2009, ont accéléré ce phénomène.
La recherche de viralité, c’est à dire de récompense sociale sur internet, est donc facilitée en privilégiant des dynamiques de foule. L’une des plus faciles est d’attaquer publiquement nos adversaires, peu importe les conséquences dans leur vie.
Ce constat est terrifiant : la manière la plus efficace de briller dans son groupe idéologique est d’humilier ses adversaires politiques. Plus on est agressifs, plus on est récompensés, sans besoin d’étayer nos propos.
Les réseaux sociaux sont un tribunal sans juge, où sont condamnés chaque jour des milliers de gens sur des témoignages de 240 caractères.
Le mécanisme est cassé.
Par conséquent, près de la moitié des Américains s’auto-censurent, laissant ainsi la parole aux franges radicales de leur groupe, polarisant davantage les opposants à ce groupe, menant à davantage de censure, etc.
La guerre, c’est la guerre des hommes. La paix, c’est la guerre des idées. Victor Hugo
C’est un cercle vicieux qui ne pourra pas s’arrêter sans changement radical ou crise majeure, comme une guerre civile. S’appuyant sur plus de 120 variables sociales, politiques et économiques, Ray Dalio estime les chances d’un tel évènement aux USA dans les prochaines années à plus de 30%.
Réguler les plateformes
L’une des solutions explorées est celle - très dangereuse à mon goût - de réguler les réseaux sociaux. L’argument pour ses défenseurs est d’endiguer l’épidémie de “fake news” et de s’assurer que seule la vérité est partagée.
Mais qui décide ce qu’est une “fake news” ? Ferais-tu confiance à ton pire adversaire politique, s’il était au pouvoir, de décider ce qui est vrai ? Vivement critiqué, le “Conseil de gouvernance de la désinformation” mis en place début mai par Joe Biden a d’ailleurs été mis en pause 3 semaines plus tard.
De nos jours, une fake news est pour beaucoup une information qui ne nous plaît pas. Rappelons qu’il y a quelques siècles encore, penser que nous étions dans un système héliocentrique où la terre n’est pas le centre du monde était puni de mort.
Des propositions plus pragmatiques existent, qui tendraient non pas à impacter les messages des utilisateurs, mais à compliquer l’utilisation des plateformes : empêcher le scroll infini pour rendre la navigation plus fastidieuse ou limiter le nombre de “partages” et “retweets” à 2 ou 3 pour casser la viralité des publications.
Cela est non seulement impossible à mettre en place au niveau mondial, mais ça tuerait probablement aussi ces plateformes, dont tout n’est pas à jeter.
En attendant, il est impératif de préserver les enfants et adolescents des réseaux sociaux, tant que leur maturité émotionnelle et plasticité cérébrale ne sont pas pleinement formées.
Reprendre la coopération
En 2019, la journaliste Bari Weiss démissionnait avec fracas du New York Times, faisant un récit glaçant de ce qu’elle y a vécu.
Twitter est devenu l’éditeur principal du New York Times. Les articles sont choisis pour satisfaire une infime audience plutôt que de permettre à un public curieux de se faire sa propre opinion.
Ce témoignage de la part d’une journaliste rompue montre qu’il est absolument fondamental de reprendre le contrôle de ce qu’on lit et de croiser les informations pour sortir de notre bulle idéologique.
Il suffit de faire l’exercice : regardez Fox News et CNN durant une journée, et vous verrez deux facettes du monde entièrement différentes. Les deux chaînes sont devenues des appareils militants qui répliquent les mécaniques des réseaux sociaux pour nous captiver.
Il faut cesser de penser “c’est nous contre eux”, mais plutôt voir que cette pente ne peut mener qu’au drame. Dans une période de crise économique, géopolitique et écologique, la division est une double peine.
Ne soyons pas naïfs : les responsables ne sont pas tant ces plateformes que notre propre nature. Internet a facilité l’expression innée de nos comportements tribaux, que nous avons mis des siècles à dompter.
Chassez le naturel, il revient au galop.