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Il y a quelques mois, nous nous plongions dans une série d’emails de Steve Jobs pour comprendre ses tactiques de négociation, réfléchies et stratèges - aujourd’hui, c’est un autre style que l’on va découvrir, moins habile : celui de Mark Zuckerberg.
Dans les 20 jours entre le 19 mars et le 9 avril 2012 se sont déroulées l’intégralité des discussions qui ont mené à l’acquisition d’une petite startup de 13 personnes par Facebook, pour 1 milliard de dollars : Instagram.
À l’époque, ce chiffre semble totalement démesuré, alors on se demande ce qui s’est passé dans la tête des protagonistes.
En voici le récit.
Prologue
En février 2012, Mark Zuckerberg envoie un email à son CFO, David Ebersman, pour introduire l’idée d’acheter des petits concurrents à l’instar d’Instagram et de Path.
“Ces business sont naissants mais leurs réseaux établis, les marques ont du sens, et s’ils grossissent trop ils pourraient être disruptifs pour nous. Etant donné notre vulnérabilité sur le mobile, je me demande si on devrait acheter l’un d’entre eux ? Tu en penses quoi ?”
Ebersman est sceptique, appuyant que la plupart de ces acquisitions sont historiquement des échecs, mais Zuckerberg n’abandonne pas :
“C’est une combinaison qui permet de neutraliser un concurrent et d’améliorer Facebook. Ces produits ont des effets de réseau et peu de leviers restants à trouver. S’ils gagnent sur l’un de ces leviers, il sera impossible de les dépasser sans innover. Ce que nous achetons, c’est du temps.”
En fait, la plupart des proches du CEO de Facebook trouvent ça absurde. Mais il est difficile de lui sortir une idée de la tête, alors il met son plan en place quelques mois plus tard.
La suite ressemble à une relation entre deux célibataires qui se cherchent.
Jour 1 : le swipe 😍
Le premier échange de la longue liste entre Zuckerberg et Kevin Systrom, alors CEO d’Instagram, suit une discussion qu’ils ont eu au téléphone le 19 Mars.
Zuckerberg gonfle le torse en rappelant à Systrom, avec un brin de nonchalance, qu’il “serait plus judicieux pour lui de s’appuyer sur l’infrastructure que Facebook a déjà construite plutôt que d’essayer de la reconstruire de zéro.”
Et pour ne pas être trop transparent dans sa démarche, Zuckerberg rationalise l’argument :
“Notre objectif est d’être le moteur permettant de faire fonctionner d’autres moteurs (ou applications) qui produisent du contenu. C’est le seul moyen d’être suffisamment gros pour que chacun puisse partager tout ce qu’il souhaite sur la plateforme.”
L’email est long, complet, et rentre dans diverses possibilités de synergies, comme un premier échange épistolaire où l’on flatterait son interlocuteur. Zuckerberg compare Facebook à Wikipedia, dont Instagram serait un créateur de contenus, et défend que leur alliance bénéficierait aux deux parties. Une proposition de rachat est sur la table.
Convaincant ?
Jour 2 : le refus ⛔
“La plupart des photos sur Instagram ne sont pas sociales, contrairement à Facebook. Notre réflexion aujourd’hui avec Mike (son cofondateur) est que nous préférons rester indépendants. C’est vraiment dans l’idée de tracer notre propre chemin”, répond Systrom, qui utilise un premier excellent levier de négociation : le désintérêt. Le grand classique du “T’es pas mon style”.
Mark mord à l’hameçon.
Jour 3 : L’offensive 🏹
“C’est une conclusion peu satisfaisante pour moi, car il semblerait que vous n’avez pas pleinement exploré ma proposition.” répond Zuckerberg, piqué dans son orgueil. “Vous avez commencé par demander si on ferait l’opération à $500 millions, avant de changer d’avis”.
On apprend ici que Systrom a utilisé (sciemment ou pas), un second levier fort de négociation, même si à double tranchant : l’imprévisibilité. En faisant une proposition que Zuckerberg était prêt à accepter pour rétracter ensuite, le mécanisme de FOMO (fear of missing out, que vous connaissez si vous avez déjà investi sur un cours de bourse qui s’envole) s’est enclenché dans sa tête. Le ton change. Là ou Jobs aurait rationalisé son propre point de vue pour le rendre irréfutable aux yeux de son interlocuteur, Mark devient plus direct et semble perdre patience :
“Dans un futur proche, il va falloir que vous décidiez comment vous voulez avancer avec nous.” écrit-il, avant d’adoucir la fin du propos : “Je suis très optimiste sur ce que vous faites, mais j’aimerais vraiment que l’on puisse travailler ensemble”.
Jour 4 : l’ex relou débarque 👋
Un insider à prévenu la presse des discussions entre les 2 CEOs, qui cherchent un responsable dans leurs équipes. Le sujet de l’acquisition est écarté un moment. Le rythme change. Plusieurs emails sont échangés chaque jour.
Pour recentrer le débat sur le deal, Zuckerberg finit par demander à Kevin de lui faire une proposition : “Puisque nous avons été les derniers à faire une proposition, c’est maintenant à vous de nous dire ce que vous seriez prêts à accepter.”
Patience.
Jour 14 : Le ghosting 👻
Dix jours s’écoulent avant une réponse de Systrom. C’est même Zuckerberg qui finit par le relancer, feignant le désintérêt : “J’ignore si tu es prêt à avancer sur ces sujets, mais je suis disponible ces jours-ci”.
Si vous avez déjà patienté longtemps avant de recevoir la réponse d’une personne qui vous plaît, vous comprenez ce qui se passe dans la tête du CEO de Facebook. En parallèle, il écrit d’ailleurs des emails en interne, obsédé par le deal. Mais l’anxiété de perdre ce deal est aussi importante pour Systrom, qui lui laisse un espoir :
“Désolé, j’étais occupé avec le lancement d’Android. On s’appelle ou on se voit cette semaine ?” - Kevin
“Ok - tu veux venir chez moi ?” - Mark
Rendez-vous est pris 👀
Jour 16 : Le grand jeu 🌹
“Juste pour être sûrs qu’on ne perde pas notre temps, je n’irai pas jusqu’à 2 milliards (…). Si ça ne vaut pas le coup d’aller plus loin pour vous, je comprendrais”.
Zuckerberg pose ses limites avant leur rencontre, car Systrom a brillamment utilisé l’effet d’ancrage à son avantage :
“2 milliards est un montant que je ne pourrais pas refuser, mais plus bas est envisageable, il faudra simplement y réfléchir un peu plus”, répond le CEO courtisé.
Ce meeting sera celui où le prix sera finalement négocié, doublant la première offre de Mark ($500m) et divisant par deux la dernière proposition de Kevin ($2 milliards).
Zuckerberg n’a pas été excellent, ni sur sa gestion des termes, ni sur sa gestion du temps. Contrairement à Steve Jobs, on lit dans ses échanges une urgence doublée d’une crainte forte que ce deal ne se fasse pas. Et comme chacun sait, plus on montre que l’on a des choses à perdre, moins on a de levier.
Mais il a suivi son flair, à l’encontre de ses équipes.
Jour 20 : L’union 💍
La suite est assez banale : des emails sur les détails du deal et de l’annonce, des nouveaux interlocuteurs, etc.
Enfin le 9 avril, après 20 jours d’aller retours, une 50 aine d’emails, quelques dizaines d’appels téléphoniques et de meetings en réel, le deal est clôturé, et l’annonce est faite.
Facebook acquiert Instagram pour 1 milliard de dollars.
Ces derniers n’étaient pas les seuls à faire une offre à Instagram - Twitter leur avait proposé plus de 500 millions de dollars à la même époque. Malgré tout, cette acquisition était considérée trop chère par la plupart des observateurs.
Pourtant, même si sous le feu des critiques à l’époque, et contre l’avis de son CFO, Zuckerberg avait déjà saisi l’importance de la photo comme moyen de communication, vision qu’un certain Evan Spiegel allait pousser à son paroxysme quelques années plus tard.
Viser long terme
Si être une pointure en négociation n’est pas le fort de chacun des leaders de GAFAs, qu’est-ce qui réunit Jeff Bezos, Zuckerberg, Steve Jobs, Bill Gates, et leurs pairs ?
D’après-moi, c’est la possibilité de prendre des risques importants à court terme pour un bénéfice long terme, qu’ils sont souvent les seuls à voir.
Quand on a demandé au CEO de Google Eric Schmidt s’il trouvait le prix de rachat de Youtube approprié ($1.65 milliards en 2006), il a répondu :
“No. It was either way too high, or way too low”.
Les startups qui ont persisté dans la Silicon valley sont celles qui n’ont jamais oublié que la prise de risques importants était la condition de succès sur le long terme. Et qui sont prêtes à payer un prix “bien trop cher” de temps en temps en vertu de ce principe.
Et maintenant ?
8 ans plus tard, l’acquisition d’Instagram génère… 20 milliards de dollars par an de revenus pour Facebook.
Alors que sa méthode de négociation est plus chaotique, et qu’il aurait probablement pu acheter Instagram un peu moins cher, Zuckerberg a démontré qu’il était capable de faire des sacrifices à court terme pour un succès à long terme.
Si on lui demandait ce qu’il pense aujourd’hui de la somme qu’il a déboursé pour Instagram, Zuckerberg répondrait probablement…
Way too low.
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