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La fin des religions ? ⛪
Religion : du latin religare, relier
Même l’historien sceptique développe un humble respect pour la religion, tant il la voit fonctionner et vraisemblablement indispensable, partout et de tout temps. Will & Ariel Durant, Lessons of history (1968)
Dans le chef-d’oeuvre de Dostoievski les frères Karamazov, l’un des personnages narre une histoire fictive où Jésus serait revenu sur terre durant l’inquisition.
Accueilli comme un héros par les citoyens, il croise alors le chemin du Grand Inquisiteur qui le jette droit dans un cachot étroit et humide. Face à la stupeur du Christ, le vieillard s’explique en ces mots :
L’être humain a été créé rebelle ; est-ce que des rebelles peuvent être heureux ? Tu as repoussé le seul moyen par lequel on pût rendre les hommes heureux ; mais, par bonheur, en T’en allant, Tu nous as légué la besogne.
Ce que l’Inquisiteur reproche au prisonnier, c’est d’avoir délégué la responsabilité au clergé de donner un sens à la vie des fidèles, comme l’explique le narrateur, Ivan :
Il considère précisément comme un mérite pour lui et pour les siens d’avoir enfin supprimé la liberté, en vue de rendre les hommes heureux.
Sept ans après la parution des frères Karamazov, en 1887, Nietzsche écrivait dans le Gai Savoir :
Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! (…) En renonçant à la foi chrétienne, on se dépouille du droit à la morale chrétienne. Celle-ci ne va absolument pas de soi (…). Le christianisme est un système, une vision des choses totale et où tout se tient. Si l'on en soustrait un concept fondamental, la foi en Dieu, on brise également le tout du même coup : il ne vous reste plus rien qui ait de la nécessité
Cette sortie est d’ailleurs communément perçue comme prophétique des évènements qui allaient marquer le 20e siècle.
Les travaux de ces deux titans tendent vers une question : peut-on se passer des religions ?
Alors que l’Occident n’a jamais été aussi séculaire et jamais aussi vacillant (je me garderai de toute corrélation), le rôle des systèmes de foi traditionnels est remis en question.
Violence innée ou acquise
Il est communément acquis que les religions ont été la source de nombreuses guerres et que s’en affranchir nous permettrait une paix certaine.
Mais cet argument est à modérer : l’Homme est tribal depuis la nuit des temps et le règne animal n’est pas étranger à la violence. Nous n’avons pas attendu Dieu pour nous entretuer.
Notre statut par défaut n’est pas celui de l’opulence, mais de la compétition pour les ressources.
Notre niveau de connaissance par défaut est celui de l’ignorance, et la connaissance a été conquise au fil des millénaires.
Nos comportements primaires et chaotiques, notre inabilité à appréhender la complexité du monde sont antithétiques à la structuration de sociétés où “la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres”.
Pour lier les Hommes, il faut un ciment, des objectifs et des règles communes, basées sur des millénaires d’observation minutieuse de notre inconscient à l’oeuvre.
Aussi, nous pouvons postuler que les religions ne sont que l’expression structurée d’une tentative de dompter nos comportements innés. La conséquence, plutôt que la cause, d’une violence instictive, le fameux mimétisme de René Girard.
C’est la peur qui d’abord créa les Dieux. La peur des forces cachées dans les rivières, les océans, le vent et le ciel. Lucrèce
Plus notre pouvoir est grand, plus les religions sont nécessaires. Un tyran n’a d’intêret à réprimer ses pulsions violentes que s’il doit rendre compte à autrui : et dans son cas, autrui ne peut être que le divin.
Lors du moyen âge, en France notamment, le Pape constituait un excellent contre-pouvoir à la royauté, en faveur du tiers-état. Ce fut aussi le cas durant l’empire Romain, comme le racontent Will & Ariel Durant :
L’église Catholique Romaine travailla à réduire l’esclavage, les querelles familliales et nationales, à étendre les intervales de paix (…) Elle apprit aux Hommes que le patriotisme dénué d’autorité supérieure était un outil de cupidité et de brutalité.
Et si les religions ont traversé les siècles, c’est probablement parce qu’elles ont une composante biologique.
Génétique et religions
Dans mon article sur le but de la vie, je référençais la théorie du gène égoïste de Richard Dawkins. Le but des gènes serait de se propager le plus possible, peu importe ce qui arrive à leur hôte.
Il est possible de faire un parallèle entre les gènes et les cultes : comme les gènes, ces dernièrs auraient une utilité sociale à être éprouvés et testés, parfois au prix de la mort de l’hôte, dans un objectif long-terme.
La compétition inter-religieuse serait un moyen de rapidement tester ce qui fonctionne pour nous tirer vers le progrès.
Il n’est pas dur de voir en quoi la génétique et les religions sont similaires : un système de foi robuste permet à une société de se développer et à ses citoyens de surmonter les difficultés, tout comme des gènes robustes permettent à un individu de se perpétuer.
L’histoire des religions est avant-tout une histoire de conquête, mais telle est l’histoire de la nature :
La nature et l’histoire sont en désaccord avec notre conception du bien et du mal ; elles définissent le bien comme ce qui survit, et le mal comme ce qui périt. Will & Ariel Durant, Lessons of history (1968)
Ces systèmes de foi opèrent comme des grilles de lectures : une manière de distinguer ceux qui sont “avec nous” et ceux qui sont “contre nous” . Parfois, protéger notre camp passe par la diplomatie avec l’autre camp.
Tâcher de faire disparaître l’idée même des communautés est une utopie, une prouesse réservée aux robots, dénués de sentiments.
De nombreuses études ont d’ailleurs démontré notre tendance innée à favoriser notre groupe, même lorsque celui-ci est totalement arbitraire (et même injuste).
La démocratie est l’apogée de la résolution diplomatique des désaccords à grande échelle entre le “nous” et le “eux”, permettant de dompter la classe politique, non dénuée de vices. Mais elle ne permet guère de donner un sens à nos vies.
S’affranchir des religions à l’échelle d’une société c’est s’affranchir d’une forme de tribalisme, mais aussi de notre sentiment d’appartenance à une communauté et d’une partie du sens que l’on accorde à notre existence. Est-ce même possible ?
Expériences peu concluantes
En pleine révolution française fut amorcée une déchristianisation forcée. Toutes les églises, y compris Notre-Dame, furent fermées et transformées en Temple de la Raison, pour y organiser le “culte de la Raison” puis le culte de l’Être suprême. Ce dernier venait avec sont lot de traditions, de fêtes et de vénérations : de la nature, mais aussi de personnalités.
Il suffit d’écouter Condorcet à ce propos :
C'est que la Révolution française est une religion et que Robespierre y fait une secte : c’est un prêtre qui a des dévotes mais il est évident que toute sa puissance est en quenouille
Habile manière de remplacer un culte, par… un autre culte, donc.
Dans ce registre, faut-il citer les nombreux régimes séculaires du 20e siècle qui ont été l’expression de la cruauté humaine, en remplaçant des dieux fictifs par des dieux vivants ? Et l’impact sur les victimes, justement, de bénéficier d’une communauté pour apaiser leurs peines ?
Que leur idôle soit Yahvé, Jésus ou Staline, du côté des bourreaux comme des victimes, tous avaient un point commun : la foi.
Faith
Je suis convaincu que le niveau de foi global est stable depuis la création de l’humanité et qu’il ne fait que changer de forme - Tweet anonyme
Le fait que la foi se retrouve partout et de tout temps sous diverses appelations n’est pas un hasard. La foi est un outil qui permet de calmer l’anxiété existentielle et de simuler en nous l’illusion de sens. De répondre à cette grande question : pourquoi je fais tout ça ? (et sa corrollaire, “pourquoi tout ça m’arrive ?).
Un outil qui fut bien utile pour continuer à opérer des sociétés dans ses périodes difficiles du passé, mais aussi plus récentes.
Le Covid, par exemple, en a été une demonstration : un excès de données constant, des thèses d’abord perçues comme absurdes qui ont fini par dominer l’opinion publique, des autorités qui donnaient des directions contradictoires à quelques jours d’écart, et chacun qui devait choisir son camp.
Si l’on décide de s’affranchir de ces cultes, alors il faudra réallouer la foi dans notre esprit. La question devient : quelles seront les religions du futur qui remplaceront ces systèmes millénaires ?
Un modèle politique ? Une vision du progrès ou de l’apocalypse ? Une technologie ? Un sport ?
Est-on sûrs que ces options seront moins propices au conflit et plus significatives à notre quête existentielle ?
On sait ce qu’on perd…
Le risque de s’affranchir des religions traditionnelles est immense : celui de sacrifier un outil fondamental pour nos sociétés, parfois vieillissant mais éprouvé pendant des siècles.
À l’heure où le dogme se retrouve partout, en politique, dans l’éducation, les arts et la science, les faux bergers rôdent.
Donnez-moi six heures pour couper un arbre, je passerai les 4 premières à aiguiser ma hache. Abraham Lincoln
Les cultes populaires sont une hache avec laquelle on coupe du bois depuis des lustres : le métal est un peu émoussé mais on sait l’aiguiser, et le bois est fatigué mais robuste. On est tentés de saisir cette hache rutilante que l’on aperçoit, à la forme et aux matériaux novateurs.
Mais on n’a pas encore eu le temps de la tester : on ignore si elle est solide et surtout, si le métal ne va pas nous éclater au visage.
Attention aux nouveaux dogmes.