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Le 27 mars 1977 à 13h15, le parti d’indépendance des Canaries fait exploser une bombe dans l’aéroport de Las Palmas, blessant huit personnes.
Sous la menace d’une autre bombe, les autorités décident de fermer l’aéroport et de dérouter le trafic aérien vers celui de Ténérife, plus modeste.
Celui-ci se retrouve vite saturé, et la tour de contrôle peine à gérer le trafic sous l’épais brouillard, inhabituel à cet endroit.
En fin d’après-midi, alors que les vols peuvent repartir, deux Boeing 747 pleins se percutent frontalement sur la piste de décollage, faisant… 583 morts. C’est l’accident le plus meurtrier de l’histoire de l’aviation.
Milles autres décisions que l’attentat raté de Las Palmas ont contribué au drame. Mais sans cette variable, celui-ci aurait été virtuellement impossible.
Un tragique exemple de l’effet papillon.
Vieux comme le monde
L’effet papillon est un phénomène qui a été décrit à de nombreuses reprises dans l’histoire, à commencer par un proverbe qui date du 14e siècle, et qui relate la suite événements à partir d’un clou perdu qui mène à la chute d’un empire.
Six siècles plus tard, Poincarré déclarait :
Un événement trivial qu’on ne remarque pas détermine un effet considérable que l’on ne peut manquer, et que nous appelons le hasard (…). Une petite erreur dans les hypothèses initiales produira une énorme erreur dans le résultat. La prédiction devient ainsi impossible.
Dans les années 1950, Ray Bradbury, l’auteur de Fahrenheit 451, écrivait une nouvelle dénommée “A sound of thunder” où lors d’un voyage dans le passé, un homme qui écrase un papillon change considérablement la face du monde 50 ans plus tard.
Mais ce n’est pas de là que vient l’expression.
“La météo, ça se plante toujours”
Le premier à avoir utilisé le terme “Butterfly Effect”, c’est le météorologue Ed Lorenz, l’un des pionniers du domaine dans les années 1960.
Après avoir réalisé que les modèles linéaires ne fonctionnaient pas pour prévoir le temps de demain, il fit une erreur de précision dans une donnée en entrée : 0,506 au lieu de 0,506127. Et le résultat final fut… drastiquement différent.
Ainsi, Lorenz affirma qu’il était virtuellement impossible de prédire la météo avec exactitude, car on ne pouvait pas connaître l’intégralité des conditions de départ.
L’auteur Neil Gaiman finit par reformuler les propos de Lorenz dans son roman “Good Omens” :
Il était établi que les événements qui changent le monde doivent être majeurs, comme des bombes, des tremblements de terre ou des mouvements de population. Mais nous savons aujourd’hui que c’est faux. Selon la théorie du Chaos, ce qui change le monde, ce sont des événements minuscules. Un papillon qui bat ses ailes en Amazonie entraîne un typhon qui ravage l’Europe.
La théorie du Chaos
Les travaux de Lorenz ont mené à l’extension du concept sous de nombreux domaines, sous le nom “Théorie du Chaos” : sociologie, physique, informatique, économie, biologie etc. Le mathématicien Benoit Mandelbrot a illustré l’exemple de la théorie du Chaos avec les fractales, dont il était spécialiste.
Son idée, c’est qu’en prenant suffisamment de recul, on peut trouver des modèles qui nous permettent d’approximer le long terme. Par exemple, il est presque impossible de prédire les variations exactes de la température d’un café chaque seconde, mais il est possible de l’approximer dans une heure assez facilement.
Cependant, d’après-lui il ne faut pas faire aveuglément confiance à ces modèles : certaines choses les dépassent, et finissent par avoir des conséquences énormes : les fameux Black Swan de Nassim Taleb.
Internet et l’effet papillon
S’il y a bien un catalyseur de cet effet, c’est l’informatique. Des milliards d’interactions sont créées sur internet chaque jour. Un ouvrier Italien né au Sénégal filme une vidéo Tik Tok et se retrouve avec plus de 100 millions de followers un an plus tard.
Et il y a plus incroyable encore : les “Single event upset”
En fait, puisque l’informatique est faite de suites de 0 et de 1, et que nos processeurs sont sensibles aux radiations, il arrive qu’un événement imprévisible comme un rayon cosmique inverse un bit entre 0 et 1. Et un seul “bitflip” dans une chaîne suffisamment longue a des conséquences démesurées.
C’est de cette manière qu’une candidate aux élections municipales Belges s’est retrouvée avec 4096 voix de plus que de personnes ayant voté pour elle dans un scrutin électronique. Si le bit modifié avait été un peu plus loin, le changement aurait pu être de l’ordre de centaines de milliers, voire de millions de voix.
Tu imagines les conséquences potentielles ?
Probabilités et regrets
L’une des frustrations de l’Effet Papillon, c’est que l’on paraît impuissant. Que faire d’un système sur lequel on paraît n’avoir aucune maîtrise et dont les conséquences sont incontrôlables ?
Pour moi, l’Effet Papillon nous permet au contraire de tirer trois leçons majeures pour notre quotidien.
D’abord, il est absurde de regretter une décision, si triviale soit-elle. Dire, “Si j’avais fait ça, alors (…)” c’est irrationnel. Il est impossible de remonter l’arbre de l’infinité événements écoulés jusqu’à l’instant présent et d’en déduire que notre situation serait meilleure.
Les seules variables avec lesquelles on peut travailler, c’est celles aujourd’hui. La seule direction où l’on a un impact, c’est devant nous.
Ce qui fut tiré de l’accident à Tenerife par exemple, ce fut un changement en profondeur de la communication aéronautique, qui a sans doute prévenu de nombreux autres drames.
Ensuite, on ne peut pas juger une décision sur des délais très courts, si impatiente soit notre génération, car il est possible qu’un déclencheur trivial porte ses fruits des années plus tard.
Le jeu Among Us, lancé en 2018, avait 15 joueurs connectés simultanément en moyenne jusqu’à sa découverte par la star de Twitch Sodapoppin, propulsant le jeu à plus de 60 millions de joueurs quotidiens.
Enfin, il est important de ne rien négliger, et d’ôter de notre vocabulaire l’expression “à quoi bon ?”. Chaque action compte, et ses conséquences dépassent ce que l’on peut imaginer.
D’un point de vue purement technique, les quelques minutes que tu as passées à lire cet épisode ont changé ta vie, comme les dizaines d’autres décisions que tu prendras aujourd’hui.
Fais les bon choix.