Comment raconter une histoire đ
Tout le monde doit savoir raconter des histoires ; le monomythe de Campbell
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Dans les annĂ©es 1930, alors que lâoccident panse les plaies hĂ©ritĂ©es de la premiĂšre guerre mondiale et tĂąche de survivre au krach de 1929, un personnage de fiction lĂ©gendaire voir le jour : Superman. GrĂące Ă lui, les rĂȘveurs se plongent dans un monde oĂč il est possible de tout surmonter.
Mais trĂšs vite, et de maniĂšre assez inexpliquĂ©e, les audiences stagnent. Ses crĂ©ateurs sâinterrogent : comment peut-on se lasser de ce personnage, si hĂ©roĂŻque, si dĂ©vouĂ©, si sympathique ?
Ce nâest quâau cours des annĂ©es 1940 quâils rĂ©solvent le mystĂšre, lorsquâils introduisent la kryptonite, qui le rend trĂšs vulnĂ©rable. Ăa y est, Superman peut ĂȘtre vaincu. Les audiences repartent en flĂšche.
Les auteurs comprennent alors que câest prĂ©cisĂ©ment parce quâil paraissait invincible quâil Ă©tait ennuyeux. Un personnage invincible, personne ne peut sây identifier. On connaĂźt toujours la fin de lâhistoire. Pas de risque, pas de danger, pas de rĂ©cit.
Câest une belle leçon, qui nous pousse Ă nous demander : quels sont les autres critĂšres pour crĂ©er une belle histoire ?
Nous sommes tous un récit
Sâil y a bien une chose quâil est utile de savoir faire, câest raconter une histoire. Que ce soit pour tisser des relations personnelles, crĂ©er de lâart ou dĂ©velopper un business, nous sommes perçus par lâimage et les histoires que nous dĂ©voilons.
Nike ne vend pas des chaussures, mais des histoires. Des histoires de sportifs qui ont tout sacrifiĂ© pour ĂȘtre les meilleurs. La chaussure, câest lâoutil pour vendre le rĂ©cit, comme lâanneau est lâoutil pour comprendre le courage dâune paire de hobbits dans la terre du milieu.
Une histoire, câest avant tout de lâadversitĂ©. Tout le reste en dĂ©coule : la relation avec les autres personnages, les dĂ©cisions qui sont prises et les sacrifices rĂ©alisĂ©s.
Le monomythe de Campbell
Lâun des pionniers de lâĂ©tude de la narration est le chercheur Joseph Campbell, via le concept de monomythe. Selon lui, tous les mythes du monde racontent dans lâessence la mĂȘme histoire sous diffĂ©rentes variations.
Il propose la structure du voyage du hĂ©ros, qui se compose comme suit : le hĂ©ros est dans un environnement connu, maĂźtrisĂ© ; il obĂ©it Ă lâappel dâune aventure, qui le fait quitter sa zone de confort et rentrer dans lâinconnu. Il rencontre des dĂ©fis et des tentations, jusquâĂ arriver au point le plus bas, lâabĂźme, dont il sâextrait Ă la sueur de son front.
En surmontant ces Ă©preuves, il ressort transformĂ©. Une transformation Ă laquelle il finit par sâhabituer pour rentrer dans son nouveau ânormalâ, qui pourra ĂȘtre la source dâune nouvelle aventure.
Campbell dĂ©veloppe le concept de personnages archĂ©types, dont certains sont empruntĂ©s du philosophe Carl Jung : au cours de sa journĂ©e, notre hĂ©ros est amenĂ© Ă rencontrer des adversaires, mais aussi des alliĂ©s, des mentors, des personnages divertissants et dâautres qui se mĂ©tamorphosent, soit de lâennemi Ă lâalliĂ©, ou de lâalliĂ© au traĂźtre.
Les archétypes
Revenons Ă Superman, dont les archĂ©types ne manquent pas : de son alliĂ©e Lois Lane Ă son ennemi jurĂ© Lex Luthor, et son pĂšre qui incarne son mentor, le hĂ©ros de D.C nâĂ©chappe pas au monomythe.
Mais pourquoi est il restĂ© si populaire, aprĂšs tant dâannĂ©es ? Est-ce seulement car il est entourĂ© dâarchĂ©types ?
Superman est en rĂ©alitĂ© un extraterrestre, orphelin de la planĂšte Krypton. Son dĂ©fi, câest de sâintĂ©grer Ă un monde qui nâest pas le sien, mais qui a dĂ©cidĂ© de lâadopter. Et en Ă©change, Clark Kent en est devenu son plus farouche dĂ©fenseur, tout comme Sangoku dans Dragon Ball.
Ce qui nous tient accrochĂ©s Ă leur longue histoire, câest les Ă©tapes successives avec lesquelles ils sâaccoutument Ă ĂȘtre si seuls, mais de moins en moins Ă©trangers Ă leur nouveau foyer grĂące Ă ceux qui les entourent.
Et cette adversitĂ© nâexiste pas seulement dans la fiction.
Lâentrepreneuriat, une suite dâaventures
Pourquoi aime-t-on tant les histoires dâentrepreneurs ?
Parce quâelles possĂšdent toutes un arc narratif qui correspond Ă ce fameux monomythe. Personne ne sâintĂ©resserait Ă quelquâun qui nâa surmontĂ© aucune Ă©preuve pour rĂ©ussir.
LâadversitĂ©, câest ce qui rend un personnage captivant, attachant. Et chacun possĂšde ses dĂ©fis. Le rĂŽle de lâhistoire, câest de nous les faire ressentir .
Le romancier AmĂ©ricain Brandon Sanderson illustre cela par lâexemple de lâun de ses personnages, une adolescente qui a grandi dans un dĂ©sert aride. ArrivĂ©e dans une rĂ©gion plus tempĂ©rĂ©e, la premiĂšre chose qui lui vient Ă lâesprit quand elle aperçoit un verre dâeau sur une table, câest âPourquoi personne ne lâa volĂ© ?â
Pour William Armbrewster, il est insuffisant de faire monter son personnage Ă un arbre pour se protĂ©ger. Lâarbre doit subir la foudre et prendre feu pendant que le hĂ©ros essaie de trouver un moyen de descendre.
Il faut torturer son personnage, jusquâĂ ce quâil laisse un bout de sa personne dans lâaventure, un sacrifice qui le fera grandir.
Quand tu essaies de convaincre, transmettre tes Ă©preuves est lâune des maniĂšres les plus efficaces de crĂ©er du lien avec ton audience.
Mais lancer des Ă©preuves Ă nos hĂ©ros nâest pas suffisant pour captiver une audience. DerriĂšre lâaventure, il doit y avoir une forme de sens.
Pourquoi on fait tout ça ?
Tu te dis probablement que je vais encore parler du âpourquoiâ avant le âcommentâ, et tu as parfaitement raison. Dans chaque histoire, il y a un ou plusieurs messages, conscients ou inconscients.
Ce quâon essaie dâexprimer Ă travers le cheminement des personnages, câest une Ă©preuve psychologique ou sociale, une injustice Ă rĂ©parer oĂč un mystĂšre Ă rĂ©soudre.
Câest ce qui donne le courage Ă nos personnages de surmonter cette adversitĂ©. Et celle-ci doit avoir du sens, pas seulement pour notre hĂ©ros, aussi pour les antagonistes.
Pourquoi le mĂ©chant du comic Watchmen de D.C comics, Ozymandias, est-il lâun des plus intĂ©ressants ? Parce que son combat a du sens. Il oeuvre pour la mĂȘme cause que nos hĂ©ros, il a simplement une mĂ©thode diffĂ©rente : il est convaincu quâen sacrifiant quelques milliers de personnes, il pourra en sauver des milliards.
Selon lui, le mieux est lâennemi du bien.
Dâailleurs dans Watchmen, les prĂ©tendus super hĂ©ros sont bourrĂ©s de vices, si bien quâil est difficile de savoir sâils apportent davantage de bien ou de mal au monde.
Dans nos fictions, lâantagoniste Ă©corchĂ© qui passe ses nerfs sur le hĂ©ros parce quâil sait quâil va recevoir des coups de cravache en rentrant chez lui reprĂ©sente toujours un dilemme Ă©thique bien plus complexe que le personnage purement malveillant.
Chaque archétype à ses objectifs, son sacerdoce, et son chemin vers une forme de rédemption.
âNot quite my tempoâ
Ăa y est, on a notre hĂ©ros, nos protagonistes, un dĂ©but et une fin. Câest terminĂ© ?
Non, il manque une Ă©tape : le rythme. Il faut y imprĂ©gner une cadence, crisper le spectateur ou lecteur pour lui permettre de se relĂącher ensuite. Le faire passer du rire aux larmes puis au rire Ă nouveau. Le faire tourner la page, Ă©teindre le podcast, ou quitter la pub avec le cĆur palpitant.
Le metteur en scĂšne Alexis Michalik, qui a notamment créé les piĂšces âLe porteur dâhistoireâ et âIntra murosâ, nâa quâune seule obsession pour sa mise en scĂšne : le rythme.
DâaprĂšs-lui, le mĂȘme texte interprĂ©tĂ© par des comĂ©diens identiques pourra produire un chef dâoeuvre oĂč un Ă©chec cuisant, selon la maĂźtrise de cette variable. La comĂ©die, le drame, le divertissement, tout est dans le tempo oĂč lâon dĂ©livre le rĂ©cit.
Lâauteur tchĂšque Milan Kundera confie quâil Ă©crit ses romans comme des symphonies, introduisant des thĂšmes et des Ă©vĂ©nements de maniĂšre rythmique. La durĂ©e de ses chapitres est dĂ©terminĂ©e avant mĂȘme quâil nâen rĂ©dige le contenu, car dans son esprit le rythme lâemporte sur le rĂ©cit.
Et dans la comĂ©die, câest encore plus crucial. Le stand-up se joue quasiment systĂ©matiquement au rythme avec lequel sont dĂ©livrĂ©es les punchlines. Dans cet exercice, les pauses sont au moins aussi importantes que le texte.
Récompenser son audience
Le rythme, câest aussi celui avec lequel on dĂ©cide de satisfaire son audience. Sâil aime ĂȘtre frustrĂ© juste assez, le public a parfois aussi besoin dâĂȘtre rĂ©compensĂ©. On appelle cela le payoff.
Tu sais, câest le moment oĂč le personnage moqueur et sournois finit enfin par se prendre une correction, oĂč tu inspires un grand coup, car tu as investi tant de frustrations et dâĂ©motions Ă le voir sâĂ©chapper in-extremis Ă chaque fois, quâil fallait bien quâil rĂ©colte un jour les consĂ©quences de ses actes.
Le payoff peut ĂȘtre teintĂ© dâamertume : quand Dark Vador est vaincu par son fils, qui vient dâapprendre leur relation, on ne peut sâempĂȘcher de penser que tout cela est un vaste gĂąchis. Une relation entre un pĂšre et un fils qui ne pourra jamais ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e.
Câest ce caractĂšre infini, irrĂ©versible, ce chemin qui a Ă©tĂ© pris en renonçant Ă toutes les autres options, qui confĂšre tant de tristesse Ă beaucoup dâhistoires. Il faut faire avec ce qui nous reste et aller de lâavant. Se reconstruire jusquâau nouveau ânormalâ.
Six mots pour convaincre
Alors comment sait-on quâune histoire est rĂ©ussie ? Pourquoi certaines sont rĂ©solument mauvaises, mais des fois on sent que ça marche⊠sans savoir expliquer pourquoi ?
La rĂ©ponse est lâexpĂ©rience. Il nây a quâen se risquant Ă les raconter que lâon met Ă lâĂ©preuve nos histoires, et quâon est capable de ressentir ce qui fonctionne.
Il est mĂȘme possible de dĂ©livrer des Ă©motions puissantes avec des histoires trĂšs courtes. La lĂ©gende raconte par exemple que lâauteur Ernest Hemingway avait reçu pour dĂ©fi de raconter une histoire poignante en seulement six mots.
Il répondit quelques jours plus tard avec le récit suivant :
à vendre : chaussures bébé, jamais portées.