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Le sujet et l’anecdote ci-dessous sont inspirés du livre 9 lies about work, que je conseille fortement et dont je continuerai de parler dans de futurs articles.
Rémi est un homme introverti, solitaire, parfois mal à l’aise autour des gens. Rémi fonde une société. Il travaille beaucoup, recrute quelques employés, et finit par attirer l’attention d’investisseurs. Après une évaluation de la société, ceux-ci sont forcés de se rendre à l’évidence: Rémi manque de potentiel. Il n’a jamais démontré de capacité de leadership durant ses études, et aujourd’hui il ne pourra pas fédérer autour d’une vision. Rémi est mis au placard, on lui donne une équipe à gérer et on recrute un meilleur CEO pour sa boîte. Mais même dans son nouveau poste, Rémi est désorganisé, ce qui nuit à ses équipes, et tout le monde est formel: il ne pourra jamais aller très loin professionnellement.
Frustré, Rémi quitte cette société pour en fonder une autre, jusqu’à ce que celle-ci soit rachetée à son tour, mais le verdict de ses nouveaux patrons est identique: il manque de potentiel. Et ce défaut plombe sa progression professionnelle, jusqu’à ce qu’il parte à nouveau. Décidément, Rémi est quelqu’un d’assez médiocre. Mais au fait, pourquoi je vous parle de Rémi ?
Parce que tout ça est une histoire vraie: Rémi, c’est Elon Musk.
Alors si lui n’a aucun potentiel, qui en a ?
Comment définir le potentiel ?
Extrapoler sur les informations que l’on possède aujourd’hui est presque toujours une erreur de jugement. En 1894 à Londres, The Time prédisait “Dans 50 ans, toutes les rues de Londres seront enterrées sous 9 pieds de fumier”. Mais l’automobile s’est démocratisé peu après.
À cause de notre incapacité à prédire le futur, le potentiel est un concept profondément abstrait. Comme discuté dans mon précédent article “Faut-il recruter des cancres ?”, un étudiant avec des capacités exceptionnellement élevées dans une matière en particulier mais qui démontre des lacunes dans les autres sujets sera probablement perçu comme un cancre - alors que le monde professionnel le récompensera un jour pour son expertise spécifique.
Ce phénomène peut aussi se répliquer plus tard, dans une carrière. Car lorsqu’on juge le potentiel de quelqu’un, on le juge par rapport aux éléments que l’on possède actuellement: les tâches auxquelles la personne est assignée, son contexte de vie, son métier actuel. Or le potentiel n’est mesurable que dans le futur. Ce n’est qu’une fois qu’il a été “exploité” que l’on peut confirmer qu’il existait bel et bien - jusqu’à présent.
Sans laisser à une personne l’opportunité d’évoluer dans un contexte où elle peut briller, tout diagnostic de ses capacités futures sera nécessairement erroné.
Des dégâts irréversibles
Un diagnostic aussi brutal qu’un “manque de potentiel” à la suite d’une évaluation professionnelle peut entrainer des conséquences collatérales. Entendre que l’on ne pourra jamais être bon dans un domaine est bien plus grave que d’entendre qu’on est lacunaire aujourd’hui. C’est la première étape dans un cercle vicieux qui n’en finit pas: je ne pourrai jamais = c’est inutile d’essayer. En donnant le verdict du manque de potentiel à quelqu’un, on ne prédit pas son futur, on le crée: c’est une prophétie auto-réalisatrice.
Mais si on abandonne la notion de potentiel, comment évaluer les individus ?
Deux points, ça fait une ligne
Notre progression professionnelle suit une trajectoire. On voyage d’un point A à un point B, mais sans s’y téléporter : on y apporte un élan, une vélocité.
Dans 9 lies about work, Ashley Goodall et Marcus Buckingham proposent de remplacer le potentiel par la notion de momentum (en Français, quantité de mouvement), qui s’obtient par la formule masse x vitesse. La masse est l’objectif visé, et la vitesse est la somme des compétences (acquises et à apprendre) pour l’atteindre.
Cette idée d’élan est fondamentale pour évaluer la progression que l’on peut imprégner à un projet ou une carrière. Dans ce prisme, quelles que soient les difficultés rencontrées aujourd’hui, quelle que soit l’efficacité que nous démontrons dans nos tâches quotidiennes, nous sommes toujours en mouvement vers notre objectif - et il est possible d’altérer la vélocité à laquelle nous y allons, en acquérant des connaissances ou en ajustant la direction. Quelqu’un peut avoir un élan absolument nul aujourd’hui (potentiel perçu = mauvais) mais définir un plan clair pour atteindre son objectif - et briller dans un futur proche (potentiel perçu = élevé).
L’élan n’est plus un verdict à priori, mais une portance qui nous accompagne. Ainsi, la prochaine fois que l’on vous demande d’évaluer le potentiel de quelqu’un, ne soyez pas juge, jury et bourreau: aidez-le à trouver son élan.
En conclusion…
Chacun possède ses propres objectifs, et personne n’est en mesure de connaître nos capacités réelles (y compris nous-même), donc il faut se fier au concret: les étapes à construire pour avancer, un pas après l’autre.
Mais si tu ne te mets pas en mouvement pour chercher l’incandescence au fond de toi, quelqu’un d’autre risque de la découvrir à tes dépens...